Chapitre Neuvième

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Dire que Vincent avait eu du mal à reprendre le chemin de son logement aurait été un euphémisme. L'homme aurait tout fait pour ne jamais rentrer chez lui sachant pertinemment que cela était impossible. Après s'être efforcé de discuter avec Nicolas après la fin du film, lui expliquant notamment certains passages qui lui avaient échappés, il s'était résigné à abandonner l'appartement. Il ne pouvait ignorer l'air fatigué qu'affichait son interlocuteur. L'amnésique avait besoin de repos et ça aurait été égoïste de la part de l'inspecteur de rester plus longtemps en sa compagnie pour ne pas avoir à se confronter à sa propre réalité. Il avait finalement quitté le studio un peu avant une heure du matin pour retrouver le silence pesant de son pavillon.

Nicolas lui se sentait éreinté sans vraiment savoir pourquoi. Il ne s'était pas énormément dépensé physiquement. Si il avait fait des recherches plus poussées il aurait sûrement appris qu'être en contact avec un personne et faire preuve de sociabilité pendant un long moment pouvait être plus esquintant qu'une course à pied. Surtout en ce qui le concernait, après tout il n'avait pas particulièrement l'habitude d'être sociable. Or cela faisait deux jours d'affilés qu'il passait ses soirées accompagné. Autrement dit son cerveau travaillait constamment, tentant d'adopter le comportement adéquate à sa compagnie. Personne n'est aussi libre de ses mouvements seul qu'avec une autre personne dans la salle, peu importe les liens l'unissant à ce fameux autre.

Aussi, à peine Vincent avait-il fermé la porte qu'il s'était glissé sous une douche chaude, avant d'enfiler un pyjama et de s'endormir. Il avait lu en son ami qu'il ne voulait pas retourner chez lui. Lecompte avait même un moment hésité à lui proposer de passer la nuit en sa compagnie. Seulement, pour une raison qu'il ne pouvait expliquer, il avait l'impression que ce n'était pas le comportement qui était attendu de lui. Dans le doute il n'avait pas osé parler, bien décidé à agir le plus normalement possible. Ce qui impliquait également d'arrêter de lire en son ami. Si il avait vérifié à travers l'inspecteur que son idée était sinon totalement usuelle, au moins assez normale pour être acceptée, peut être aurait-il eu le courage de demander. Mais il ne l'avait pas fait et avait laissé Richards partir avec quelques regrets.

L'homme expérimentait pour la première fois cette émotion. Jusqu'à présent il avait toujours agi en suivant son instinct. Ignorant la plupart des temps les conséquences que ses actes auraient, c'était d'ailleurs cela qui l'avait fait finir en prison. Ainsi, même si parfois le résultat de ses actions n'était pas agréables, la seule idée de faire autrement ne lui effleurait pas l'esprit. Dans ces conditions impossible d'avoir de quelconques remords. De nombreuses personnes auraient envié sa franchise sans comprendre la complexité de ne pas savoir si la situation aurait été meilleur sans cette honnêteté. Nous avons tendance à penser, après avoir fait face à une situation, qu'il aurait fallut agir autrement, oser agir autrement. Mais c'est parce qu'après coup nous avons le temps de réfléchir à ce qui serait arrivé. Sûr le moment notre esprit ne peut envisager les résultats de nos agissements. Or, sur le moment, notre discernement ne peut explorer toutes ces pistes. Il doit se limiter à un choix, celui représentant le moins de danger à première vue. Nicolas avait été dans l'incapacité d'évaluer les risques de ces mots ou de ces gestes jusqu'à présent. Et pour cause. Son cerveau était trop occupé par le présent, par les pensées et l'histoire de la personne à qui il faisait face pour avoir le loisir de se soucier du futur. C'était simplement impossible. Et c'était ce facteur qui venait de changer face à Vincent. Il n'était plus confronté à son présent, il avait donc commencé à penser au futur. Tout comme la majorité de la population il était tombé dans le piège de la mauvaise temporalité. Dire que personne n'a rêvé, ne serait-ce qu'une fois, de modifier le passé ou prévoir le futur serait un mensonge pur et simple. Sans le savoir Lecompte se rapprochait donc plus de l'homme lambda qu'il voulait devenir. Un être qui se qualifiait lui même comme empli de défauts et de vices...

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