Chapitre Trente-Cinquième

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Cela faisait une semaine que Nicolas avait perdu son don. Une semaine qu'il continuait sa rééducation et qu'il se demandait ce qu'il deviendrait à long terme. Vincent venait tous les jours lui rendre visite. Ils parlaient beaucoup, mais uniquement de choses futiles. Aucun d'entre eux n'osait aborder la question de l'origine de Lecompte. Elle posait trop problème à leurs yeux. Ils ne savaient pas quoi en faire. Et comme souvent dans ces cas-là, il préférait fermer les yeux que de s'atteler réellement à trouver une solution.

Lecompte recommençait à marcher seul. Il faisait de courtes balades dans le parc de l'hôpital, qui s'allongeaient de jour en jour. Il s'était remis bien plus vite que ce que les médecins pensaient. Sa blessure à la gorge avait presque totalement cicatrisé et il parvenait à saisir de petits objets légers avec son bras gauche. Les analyses de sang qu'il avait subi avaient laissé apparaître quelque chose d'assez étonnant. Une composition très proche du sang humain, mais qui semblait plus complexe, autre preuve de l'origine de l'homme. Les scientifiques avaient voulu étudier plus profondément ce spécimen, mais Vincent avait fait pression pour que l'idée soit abandonnée.

Dans moins d'un mois, Nicolas serait de retour dans la vie « normale ». Il sortirait de l'hôpital. Alors le problème de ce qu'il allait devenir serait encore plus important. Il ne pouvait pas retourner à l'université. Du moins il ne voulait pas y retourner. Quelque chose en lui avait disparu en même temps que son don. Il le savait et Vincent le savait aussi. Il le remarquait, chaque jour semblait faire disparaître l'éternel petit sourire qu'il arborait en temps normal. Il se sentait soudainement encore plus inutile qu'auparavant, juste au moment où il avait réussi à se reconstruire il était de nouveau réduit en pièce.

De son côté, Richards était parvenu à sortir la tête de l'eau. Il n'avait pas abandonné face à son échec avec Nicolas. Il avait besoin d'aller mieux pour que Nicolas aille mieux. C'était ce qui l'avait poussé à retrouver ses enfants. Ces derniers étaient beaucoup moins rancuniers que leur mère, ils ne se rendaient pas bien compte de l'abandon qu'ils avaient subi, malgré le fait qu'il sentait une certaine absence. Sans doute en grandissant leurs yeux s'ouvriraient sur ce moment de leur vie. Mais en attendant, Vincent avait réussi à recréer un semblant de lien. Il appelait Juliette et Gabriel chaque soir pour leur demander comment leur journée s'était passée et avait profité de son samedi pour les emmener au cinéma et au restaurant.

« Tu as intérêt à continuer sur cette voie, l'avait prévenue Nathalie lorsqu'il était revenu. Tu ne peux pas prendre le rôle de père seulement à mi-temps. Ça ne fonctionne pas comme ça. Et tu leur feras encore plus de mal si tu arrêtes maintenant, compris ?

— Je ne compte pas m'arrêter, avait-il répondu. Mais je ne te promets pas que je ne ferais pas d'erreurs.

— Enfin une promesse que tu pourras peut-être tenir... »

Après cette entrevue le policier était d'autant plus déterminé à ne pas décevoir ses enfants et à prouver à son ex-femme qu'il pouvait changer. Il ne voulait pas la récupérer, cela faisait bien longtemps qu'il avait compris que même sans l'alcool leur couple n'aurait pas tenu, la boisson avait juste accéléré le processus. Au travail il avait repris son poste, avait essuyé l'attaque des journalistes sur sa dernière mission sans trop en souffrir, il avait eu le mérite d'arrêter le salaud ce qui, même pour des journalistes enragés, avait le mérité de calmer le torrent de reproches. Il n'avait donc pas eu à boire, avait repris une simple affaire de vol à main armée sans victimes et réussissait plus ou moins à séparer travail et vie privée.

De son côté Nicolas tombait peu à peu dans le mutisme. Il enchaînait gaffe sur gaffe depuis qu'il ne pouvait plus lire dans les gens. Même les « bonjour » et « au revoir » qu'il avait réussi à assimiler avant la perte de son don semblaient avoir disparu. Il régressait de manière inquiétante au niveau social. Atsuko qui avait fini sa thèse, l'avait défendue et obtenu les félicitations du jury passait le plus clair de ses journées avec lui. Elle avait décroché un poste au Canada et le départ était fixé dans deux mois. En attendant, elle n'était plus aussi prise qu'avant et voyait très bien que Nicolas avait besoin d'elle. Lecompte avait besoin de toute personne prête à l'aider en réalité. Il avait constamment besoin d'être rassuré, d'être occupé.

Vincent et Atsuko s'étaient enfin rencontrés dans ce qui avait pris la forme d'une réunion de crise qu'avait tenue le docteur Lorenz avec le support de Rémi Cordier. Le quatuor s'était réuni pour savoir la position qu'il tiendrait face à ce revirement dans le comportement de Nicolas. Sans avoir tous été mis au courant de l'étrange don maintenant disparu de l'homme, ils savaient qu'il était spécial. Les résultats des analyses approfondis le démontraient assez, sa capacité de soin beaucoup plus rapide que la norme aussi. À savoir, qu'allait-il pouvoir d'un tel personnage.

« Après sa sortie d'hôpital je peux le prendre chez moi, avait proposé Vincent. J'ai de la place pour l'accueillir, et je préfère l'avoir à l'œil.

— C'est une bonne idée, il ne vaut mieux pas qu'il reste seul pendant un moment. Ça pourrait aggraver son état... avait reconnu la docteure.

— Mais il sera seul toute la journée, je travaille. Je ne peux pas tout simplement m'arrêter de travailler pour lui...

— Je peux passer le voir jusqu'à mon départ, était intervenue Atsuko. Je n'ai pas beaucoup d'obligations.

— Ce serait parfait. De mon côté je vais essayer de continuer mes analyses sur son sang. Je suis sûre que s'il avait une identité il s'en sortirait mieux. Le fait de ne même pas savoir ce qu'il est doit être extrêmement troublant.

— De mon côté, je continuerai la ré-éducation même après son départ. Donc techniquement je vais quand même le voir. C'est pas un soucis, ajouta Cordier. »

Le groupe s'était mis d'accord sur ce plan d'opération en espérant qu'il suffirait à remettre Lecompte d'aplomb. Mais leurs espoirs semblaient vains. L'homme n'était plus lui-même. Et vu son état on doutait qu'il puisse un jour le redevenir.

Il était donc finalement rentré chez Vincent. Depuis l'escapade nocturne de ce dernier dans sa chambre d'hôpital il n'avait plus eu accès à ses souvenirs. Ou, si ça avait le cas, il avait décidé de ne pas en parler à son ami qui, de toute manière, évitait soigneusement le sujet de peur de provoquer une nouvelle perte de conscience chez Lecompte. Leur quotidien s'était instauré sans accroc, chaque matin ils prenaient leur petit-déjeuner ensemble avant que Vincent aille au travail. Nicolas regardait ensuite la télé ou lisait un livre avant l'arrivée d'Atsuko qui le faisait parfois jouer aux jeux vidéo, elle avait remarqué que cela avait pour effet de rallumer un peu l'étincelle qui brillait autrefois dans les yeux de l'amnésique. Autrement ils sortaient tous les deux se promener en ville, souvent dans des musées même si la passion de l'homme pour l'art s'était quelque peu éteinte.

Le soir il mangeait avec Vincent et parfois Atsuko qui restait. Le plus souvent il cuisinait, sinon il commandait un repas. Il écoutait le policier lui parler de sa journée, d'anecdotes en tout genre et essayer de le motiver sans réussir. Puis ils regardaient un film, ou une série, ensemble avant d'aller se coucher dans leur chambre respective. Un quotidien ennuyeux que Nicolas ne pouvait supporter, comme il n'avait pas supporté son inutilité antérieure. Un quotidien qu'il était bien décidé à quitter sans savoir vraiment comment...

Le réveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant