Chapitre Trente-deuxième

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Vincent se tournait et se retournait dans son lit sans pouvoir trouver le sommeil. Il avait été obliger d'abandonner Nicolas pour la nuit. Certes, le blessé n'était plus en proie aux crises de paniques, mais il restait fragile psychologiquement.

Trop de pensées se mélangeaient dans l'esprit du policier, trop de problèmes qui lui revenaient violemment en plein visage : son échec professionnel, sa famille qu'il ne parvenait pas à garder, et bien sûr l'étrange révélation de Nicolas. Il savait qu'il était obligé de se présenter au travail le lendemain, cela faisait déjà presque une semaine qu'il était en repos. Il fallait qu'il reprenne un jour. Seulement, il savait que cela ne serait pas possible dans l'immédiat, pour la première fois depuis longtemps il parvenait à s'avouer que ce ne serait pas au commissariat qu'il réglerait ses problèmes. Ça n'avait pas marché lorsque son couple avait commencé à battre de l'aile, ça n'avait pas non plus fonctionné quand l'alcool avait commencé à prendre une part un peu trop importante dans sa vie. Il fallait qu'il se rende à l'évidence, il était le seul à pouvoir reprendre sa vie en main. Il ne pouvait plus se cacher derrière des obligations.

Richards se redressa dans son lit, il écouta un moment les insectes bruisser dehors par la fenêtre ouverte et se leva. Il fallait qu'il prenne les choses en main et même si commencer à le faire en plein milieu de la nuit semblait être tout sauf une bonne idée il était conscient que s'il n'agissait pas tout de suite il perdrait courage comme toutes les autres fois. Il avait dû se répéter ce discours au moins des dizaines de fois dans son esprit, se promettant de faire le nécessaire pour faire bouger les choses, mais de le faire le lendemain. Bien sûr, toute résolution avait disparu au fil des heures et il ne s'était jamais persuadé de s'y remettre. Et il avait cette fois la terrible impression que c'était la dernière fois qu'il avait l'opportunité de se reprendre en mains. Il commençait à vieillir, il en avait conscience. Les occasions se feraient de plus en plus rares. Et puis, même s'il ne croyait pas réellement en Dieu, l'arrivée providentielle de l'ovni qu'était Nicolas dans sa vie, lui paraissait être un signe, un encouragement. Il fallait qu'il remette sa vie sur rail, qu'il règle les problèmes les uns après les autres. D'abord Nicolas, c'était le plus urgent, savoir réellement qui il était ce qu'il se passait et ce qu'il fallait faire de lui. Le reste viendrait ensuite.

« C'est le moment ou jamais. » se persuada-t-il.

Une demi-heure plus tard, il se trouvait devant l'hôpital admirant la façade éclairée. Il savait qu'on ne le laisserait pas entrer s'il se contentait de demander à voir Nicolas alors qu'il était un peu plus de trois heures du matin. Pendant le trajet qui l'avait mené ici il avait étudié les possibilités pour s'infiltrer. Il avait opté pour passer par les urgences. Elles n'étaient jamais totalement calmes, avec un peu de chance il tomberait sur un « mauvais jour » qui s'avérerait être un bon soir pour lui. On ne lui prêterait pas tellement attention et il lui serait alors possible de se faufiler dans un couloir latéral. Il commençait à connaître l'établissement et était assez sûr de lui pour penser retrouver sans trop de problèmes la chambre de son ami. Il faudrait juste qu'il fasse attention à ne pas se faire repérer, autrement il aurait sûrement quelques soucis, rien d'insurmontable, certes, mais assez pour le décourager et l'empêcher de reprendre sa vie en main.

Il inspira un grand coup et prit le chemin de l'entrée des urgences ; il s'était garé à l'opposé de celle-ci pour éviter de se faire repérer par un infirmier en pause qui serait en train de fumer devant l'entrée. Il avait environ deux-cents mètres à faire avant d'arriver à destination. Il passe les cinquante premiers les yeux rivés vers le sol à la recherche d'un objet qu'il trouva enfin, un tesson de bouteille.

Des diverses options qu'il avait envisagées pour se blesser — et être admis aux urgences s'il n'arrivait pas à se faufiler directement dans le labyrinthe blanc — il avait choisi celle de s'entailler le sourcil. Il savait qu'une blessure à l'arcade sourcilière ne relevait pas d'une urgence majeure, il serait sans doute placé en attente après des cas beaucoup plus graves, et c'était sur cette attente qu'il comptait pour échapper à la vigilance du personnel médical. Seulement, il ne voulait pas réellement se briser l'arcade, il s'était dit qu'un peu de sang suffirait à donner l'illusion.

Il saisit donc le bout de verre et s'approcha d'une Renault grise garée sous un lampadaire. Il parvenait à peu près à voir son reflet. Il inspira un grand coup et coupa la peau d'un geste sec. Il retint un cri. Évidemment, il n'était jamais agréable de s'entailler. Lorsque la première vague de douleur fut passée, il se rendit compte qu'il avait à son insu repeint l'innocente voiture.

« Merde ! » grogna-t-il.

Il essuya, tant bien que mal, avec sa manche le sang qui avait giclé. Après plusieurs essais infructueux, il abandonna s'excusant mentalement auprès du propriétaire qui découvrirait que quelqu'un lui avait fait comprendre que le rouge serait une meilleure couleur pour sa voiture. Il avait d'autres choses à faire.

Le policier jeta le morceau de bouteille dans un fourré et se remit à marcher. Alors qu'il se trouvait à peine à quelques mètres de l'entrée, un bruit attira son attention : des cris. Des cris de femmes. Il sentit ses muscles se bander avant de se détendre. Ce n'était pas son problème, il n'était pas là en tant que policier, mais en tant que simple citoyen qui avait été blessé. Il n'aurait pas à intervenir s'il y avait une bagarre. Non. En revanche, s'il y avait bel et bien une bagarre son plan gagnerait en facilité, la violence attire toujours le regard des gens, personne ne lui prêterait attention s'il se contentait de passer derrière.

« Bingo ! » s'exclama-t-il à mi-voix.

Il venait d'arriver devant les portes vitrées du service et il y avait effectivement deux femmes qui s'insultaient copieusement au milieu de la salle d'attente, deux gardiens tentaient de le séparer, aidés par un infirmier. Vincent passa la porte dans l'indifférence générale. Il jeta un coup d'œil vers le bureau des admissions où plusieurs personnes faisaient la queue, le réceptionniste était débordé. En-dehors de cela le reste de la pièce était occupé par un couple de parents avec leur enfant, un homme qui semblait manifestement sous l'emprise de l'alcool et qui était sur le point de tomber de sa chaise, une femme assez âgé qui tremblait dans un coin et un homme assis simplement, un livre à la main, il donnait l'impression d'attendre un train.

Vincent analysa la situation, les responsables étaient occupés, mais cela ne voulait pas dire qu'il ignorerait un homme seul en sang qui traverse la salle d'attente sans être accompagné. La blessure n'était pas la meilleure option... Il s'était trompé sur ce point-là. Mais ce n'était pas grave. Il se dirigea vers les toilettes et se lava le visage. Le liquide rougeâtre continuait tout de même de s'écouler de la plaie. Il n'avait pas de pansement sur lui, ou quoi que ce soit pour empêcher le processus. Il opta donc pour la rapidité. Il lui fallait gagner un couloir latéral avant que la présence de sang ne devienne trop importante.

Il sortit des sanitaires avec la ferme intention de se diriger vers le boyau le plus proche qui mènerait au cœur de l'animal dénué de couleur et à l'odeur de chloroforme dans lequel il se trouvait. À ce moment comme venu du ciel, le bruit d'une ambulance se fit entendre. Richards réfléchit un moment, il y avait de grandes chances pour que le nouveau malade qu'on emmène soit transporté sur une civière et que dans la panique de la situation il pourrait se faire passer pour l'un des membres du groupe courant au côté du blessé. Son instinct lui disait que cela pouvait marcher, et son instinct était fiable.

Ce fut effectivement une civière qui passa les portes vitrées, il parvint effectivement à se fondre dans la masse de gens qui l'entourait et à se faufiler dans un couloir sans se faire repérer. Tout cela avant que quelqu'un ne remarque l'étrange blessure qu'il avait. Il sourit. Il avait presque réussi. À présent, le pourcentage de chances pour qu'il échoue avait nettement baissé, ce qui ne l'empêcha pas de rester sur le qui-vive.

Il se mit à arpenter le dédale de couloirs qui le mèneraient vers la chambre de Nicolas. Il se rappelait à peu près du chemin à emprunter et ne dut revenir qu'une fois sur ses pas. Comme il l'avait prévu, il n'avait croisé personne. Le seul risque qu'il avait pris était de passer devant une salle de repos ou plusieurs employés prenaient un café en discutant à voix basse, mais il s'était tapi dans l'ombre du couloir dont la lumière était activée par un interrupteur et il ne lui restait plus qu'un corridor à franchir. Alors même qu'il voyait déjà la réussite de l'entreprise, le plafond s'alluma et des bruits de pas se firent entendre derrière lui. Quelqu'un n'allait pas tarder à le trouver en plein milieu d'un couloir où il n'avait rien à faire s'il ne réagissait pas assez vite. L'inconnu était sur le point de tourner et d'apparaître alors dans son champ de vision.

Sans réfléchir l'homme entra dans la chambre la plus proche. 

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