1. Kiwi (2/3)

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Dans la voiture, je répétai à Dimitri :

– J'ai tellement hâte de leur annoncer et de voir leur tête !

– Oui, mais attend l'apéro, hein ?

Nous descendîmes. La fraîcheur était tombée, j'avais une veste mais regrettai de ne pas avoir changé ma robe pour un pantalon. Dimitri portait un sweat à capuche qui lui serrait trop les bras, alors il l'abandonna sur son épaule.

Ce fut Marion qui nous ouvrit la porte.

– Tiens, v'là Superman, claironna-t-elle.

Nous n'étions jamais étonnés de la voir, elle était de toutes nos soirées, maintenant.

– On va croire que tu vas finir par habiter là, répondit Dimitri en lui tendant une bouteille de vin.

– On va croire que tu bosses chez Abercrombie avec ce corps d'éphèbe que tu exhibes tout le temps ! Tu veux que je te passe un peu d'huile sur les pecs ? Ils cherchent des modèles chez Têtu Magazine, rétorqua la maquilleuse.

Leurs échanges m'amusaient toujours, ils s'asticotaient comme des frères et sœurs, heureusement avec bienveillance.

– Jalouse ? demanda-t-il.

– Et comment ! Bon, Amanda, tu veux bien aller en cuisine ? Laura et Anne se chamaillent pour des paroles de chanson, ou je-ne-sais-quoi, ça m'exaspère.

Je les laissai tous les deux prendre place dans le salon et rejoignis mes deux blondes préférées. Après m'avoir enlacé chacune leur tour, Laura me demanda :

– Dis, Amande, la gagnante de l'Eurovision de l'année dernière, elle chantait Toy ou Boy ?

– Euh... Tu peux me rafraîchir la mémoire ?

– Celle qui faisait la poule !

– La poule ? Décidément, l'Eurovision... Bref, aucune idée. Je n'ai même pas regardé l'émission.

– Je suis sûre que c'est « Boy », surenchérit Anne. C'était pour dénoncer l'oppression des femmes.

– En faisant la poule ? rétorquai-je, amusée. Tu connais mieux ta femme que moi, je pense qu'on peut avoir une confiance aveugle en Laura.

– Merci, Amanda !

– Sinon, vous savez qu'il existe une nouvelle invention, « Internet » je crois, où vous obtiendrez sans doute la réponse, ironisai-je.

– La mémoire ! On veut faire bosser la mémoire.

– Enfin, là, vous êtes toutes les deux convaincues, alors on tourne en rond. Et désolée, je ne vous serai d'aucune aide. Je vérifie pour vous, et nous pourrons commencer à boire et faire la fête en parlant d'un sujet plus passionnant, déclarai-je en tapotant sur mon écran tactile.

– Okay, concéda Laura en chargeant son plateau.

Toy ! clamai-je.

– Merde, t'avais raison !

Et Anne baisa la joue de sa femme victorieuse.

– Et voilà, fanfaronna-t-elle en tournicotant la tête jusqu'à faire valser ses créoles.

– Oui, bah regarde ce que tu fais, et tous au salon !

Avachis dans le canapé en cuir, Marion et Dimitri piochaient déjà dans les bols de curly.

– Regardez-moi cette bande de morts de faim, ironisa Anne.

– Pour ma défense, j'ai bêché et débroussaillé toute l'aprem, sous le cagnard, se justifia Dimitri.

– Je confirme, ajoutai-je.

– Okay, c'est une bonne raison. Mais toi, Marion ?

La jeune femme la regarda d'un air flegmatique et répliqua :

– Moi aussi j'ai débroussaillé, d'autres sortes de buisson et crois-moi, tu ne veux pas tout savoir. Ça m'a dégouté, j'ai sauté le repas du midi.

Nous explosâmes de rire. En fait, exceptionnellement, Marion travaillait dans un cabinet d'esthéticienne pour dépanner sa cousine en galère pendant une semaine.

– Les verres !

– Ta formation se passe toujours aussi bien ? demanda Laura à Dimitri pendant qu'Anne servait la soupe de champagne.

Dimitri arrivait bientôt au terme de sa première année de reconversion professionnelle. Il était formé auprès d'un jardinier-paysagiste de renom, ancien client lorsqu'il travaillait à la Banque de France, qui s'était enthousiasmé des aptitudes de mon mari. Sa jeunesse auprès de son père dans les différents lieux de culture-tests l'avait très sûrement aidée, même si c'était différent.

Il comptait ouvrir son affaire, ou bien s'associer, pour créer des jardins chez les particuliers.

– Super, répondit-il.

J'étais trop fière de lui. Depuis sa rupture avec son ex-fiancée machiavélique, l'homme si bon que j'avais remarqué dès mon année de 4ème avait chassé tous ses démons. Lorsque nous allions chez mes parents, ma mère me disait que nous étions tellement épanouis que notre bonheur était contagieux. Même tata Jacotte, assise en face de nous au repas de Pâques, avait souri, chose qui n'était apparemment plus arrivée depuis 1998. Elément donc notable pour être remarqué.

– Et toi, Amanda ? N'oublie pas que mardi je veux être la première dans la file de dédicace !

– Laura, je ne comprends pas pourquoi tu t'embêtes à vouloir faire le pied de grue alors que je peux t'en dédicacer un maintenant.

– Non, ce n'est pas pareil !

J'avais écouté les conseils d'une éditrice rencontrée quelques années plus tôt. Elle avait adoré mon manuscrit. Faut dire que Chloé y était pour beaucoup, je n'avais rien inventé. Depuis deux mois, mon livre publié caracolait en tête des ventes. La première fois que j'avais franchi le portique de sécurité de la FNAC et découvert en tête de gondoles une cinquantaine d'exemplaires, j'avais hyper-ventilé comme un phoque asthmatique, et puis j'avais pleuré de joie dans les bras de Dimitri qui m'avait réconforté en riant. Les clients n'avaient pas tout compris, avant qu'un des conseillers de vente du rayon ne dévoile mon identité. J'avais alors fait ma première séance de dédicaces informelle, debout, pendant dix minutes jusqu'à ce que la sécurité décide de nous faire libérer le passage.

– Tu sais combien d'exemplaires tu as vendu ?

– Non, ce n'est pas évident d'avoir les chiffres, et c'est encore tôt. Par contre, il est déjà parti en réimpression, ce qui veut dire que le stock s'écoule plus vite que prévu.

Je n'avais pas lâché Wedding wedding pour autant. J'organisais quatre grands mariages cette année, alors j'avais embauché un assistant pour m'épauler.

– Allez, santé ! brailla Marion en buvant son verre.

Je n'y tenais plus, il me fallait faire notre annonce. Je ne pus patienter que le temps que Laura lance une playlist Deezer. Owl City n'avait pas encore commencé à chanter que je clamai :

– On a quelque chose à vous dire !

La cerise déconfiteWhere stories live. Discover now