8. Sirène (2/3)

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Il restait encore deux heures de trajet. A bord de l'Elysium, c'était devenu calme. J'aurais aimé pouvoir utiliser le jacuzzi à l'étage, mais c'était évidemment impossible quand le camping-car roulait. Je me perdis dans la contemplation du paysage, puis un coup de klaxon rompit ce moment serein. Je baissai mes yeux vers la route, une caravane familière nous doubla et Ben, au volant, nous fit un signe de tête.

Quand on parle du loup...

Robine répondit d'un coucou de la main. Les autres affichèrent une ignorance totale, blasés pour certains d'avoir été réveillé ou tout simplement indifférent au trio d'énergumènes. Je revins vers la vitre. Chaque fois que je croisais Ben, je ne pouvais m'empêcher de repenser à Killian et Edouard. Ce coup de klaxon me ramena quelques années en arrière.


Les beaux jours étaient arrivés. C'était la première heure de conduite où je n'avais pas eu besoin d'enclencher les essuie-glaces. Le soleil se levait déjà malgré l'heure matinale, il était sept heures et demie. La leçon s'achevait et comme d'habitude je voulais faire bouffer le frein à main à ma monitrice, Stéphanie, signe zodiacal « grosse mytho » ascendant « je vais te faire chier ».

Elle me déposa sur le parking du cinéma de Manèves car j'enchaînais directement la matinée par mon tout premier petit boulot. Je n'étais pas majeure alors il avait fallu négocier mon contrat avec mes parents et la directrice de l'établissement.

Travailler dans ce cinéma, c'était très étrange. Ce lieu, je le fréquentais régulièrement depuis toute petite et désormais, quatre matins par semaine pendant les vacances, j'étais de l'autre côté de la barrière. La première semaine, ça avait été bizarre. J'accueillais des clients à la caisse que je connaissais : des voisins, des anciens camarades de classe et professeurs. Lorsque je tombais sur ces derniers, ma timidité et mes angoisses du collège ressurgissaient aussitôt. Ça avait le don de me mettre de mauvaise humeur. Au lycée, ça m'avait semblé simple au bout du compte d'être plus forte, plus intéressante, plus présente aux yeux des autres. Mais revoir les pestes du collège qui n'avaient pas changé et me demandaient une place d'un air moqueur me hérissait le poil et me renvoyais dans mes anciens tourments.

Le deuxième jour, j'alternais avec mon collègue, un grand mec tout sec qui n'était pas commode ni très bavard, pour le nettoyage des salles. Lorsque j'entrai avec mon balai pour ramasser les pop-corn renversés sous le siège, je repensais instantanément à Dimitri Grévois. Cette fameuse séance où  il avait été juste derrière mon fauteuil et pendant laquelle je m'étais enfuie dans les toilettes avant que les lumières ne se rallument.

Depuis au moins deux mois, pour la première fois, je n'avais pas pensé à lui, ni parlé de lui avec Laura et voilà que son souvenir revenait me hanter. Pourtant, loin de me démoraliser, bien que la pointe de l'aiguille du remord passé me piquait un peu, je me sentis légère, comme si tout cela me rapprochait de lui, malgré son absence.

Dès lors, à chaque fois que je foulais une des salles, tenais la caisse, ou détalonnais les tickets des spectateurs en file indienne, j'imaginais que Dimitri allait réapparaître. Je n'avais pas parlé à Laura de toutes ces pensées, je me trouvais ridicule, et je me disais que je ne devais pas être bien nette de penser encore à lui. C'était dingue parce que ma vie s'était complètement transformé pendant cette première année de seconde. Mon cercle d'amis s'était étendu, j'avais clairement plu à plusieurs garçons de ma classe et ma vie sociale était plutôt chargée. Mais Manèves avait cet effet-là sur moi.

En ce matin ensoleillé, alors que je remplissais les tubes de bonbons tout en imaginant le meilleur moyen de rabattre le caquet de Stéphanie, j'entendis que l'on m'appelait du comptoir.

– Eh, si tu n'avais qu'un film à me conseiller, ce serait quoi ?

Je tournai la tête et ne cachai pas ma surprise :

– Killian ? Qu'est-ce que tu fais par ici ?

Il habitait de l'autre côté de Pont-Polly.

– Il paraît que la plus jolie fille de la région travaille ici pendant les vacances.

Je rougis jusqu'aux oreilles. Depuis la soirée d'Halloween, Killian n'avait jamais essayé de me retoucher, mais il profitait de chaque occasion pour me glisser des compliments auxquels je voulais croire.

– Tu n'as quand même pas fait la route exprès ?

– Si je dis oui, je pourrais t'inviter à voir un film ?

Je souris bêtement. Killian était peut-être un Don Juan, mais il était vraiment mignon. Et puis son jeu de séduction ne visait que moi. Son pote Edouard alignait les conquêtes, Killian était juste sortit avec une fille de première pendant deux semaines vers Noël, puis plus rien. Heureusement, une famille vint me demander du pop-corn et je n'eus pas à trouver une réponse intelligente pour Killian. Voilà autre chose qui m'insupportait : je voulais avoir l'air de celle qui sort des phrases aussi percutantes que dans les films ou les séries, mais ça ne marchait jamais. Je trouvais toujours la bonne phrase à dire trop tard, souvent quand je me rejouais la scène après.

– Alors ? Quel film me conseilles-tu ?

– Beaucoup de spectateurs ont aimé Mr and Mrs Smith.

– C'est un message caché ?

– Hein ?

– Brad a quitté Jennifer pour Angelina grâce, ou à cause, de ce film.

– Et ?

– Je pense que si tu venais le voir avec moi, je pourrais te faire oublier celui à qui tu penses, et tu pourrais voir à quel point je ferai un bon petit ami.

Sa réflexion était un peu tordue. Mais étrangement, cet aspect de lui me plut.

– Je ne pense à personne, mentis-je.

Il avait néanmoins réussi à me convaincre et après mon service, nous allâmes voir le film ensemble. Rien de notable ne se passa pendant la séance, mais Killian revint le week-end suivant. Il vint me parler quelques minutes avant de rejoindre sa séance. Je tins le stand confiserie une bonne heure, puis fut chargée du nettoyage des toilettes. En revenant dans le hall, je tombais sur Tiphaine-la-vérole.

La cerise déconfiteDonde viven las historias. Descúbrelo ahora