5. Bain de minuit (1/4)

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– Vas-y, prends la photo !

Devant une des habitations d'Hobbiton, Laura enleva ses lunettes de soleil. Je devais immortaliser l'instant avant qu'elle ne se crame la rétine. Le soleil tapait encore fort pour la saison. Et ma meilleure amie voulait absolument qu'on la reconnaisse sur les photographies. J'optai pour le mode rafale de mon Iphone. Ensuite, elle voulut une autre prise de vue avec Anne, et enfin nous fîmes, à l'instar du groupe précédent, un selfie tous ensemble, bras et jambes en l'air, des originaux quoi ! De toute façon on ne voyait que des têtes coupées.

– Oh, c'est trop beau ! pépia Laura en se retournant à nouveau vers la maison des Hobbits.

La maisonnette toute en rondeurs était ensevelie sous une couverture d'herbe si verte qu'aucune retouche photo ne serait nécessaire. Devant, dans le jardin carré entre la clôture de bois et la porte d'entrée ronde, quelques papillons se posaient sur les fleurs blanches, mauves et rouges. Un petit coin de paradis, empli de quiétude.

Un guide anglais nous accompagnait, je faisais la traduction pour mes amis de temps en temps mais elle n'était pas vraiment nécessaire. Admirer les lieux suffisait à apprécier l'endroit. D'autant plus que Laura avait déjà potassé plusieurs guides sur Le seigneur des anneaux et les secrets de tournage.

– L'effet de mousse sur les clôtures est artificiel, c'est de la peinture.

Seul l'œil expert de Marion l'avait deviné avant qu'elle n'en parle.

Dans un jardin voisin, une table avec des victuailles factices était dressée. Adaptée pour le peuple des Hobbits, elle avait l'air d'une table de pique-nique pour enfants, et ce fut encore plus évident lorsque Yohann et Laura s'assirent l'un en face de l'autre. Ça méritait un autre cliché.

– Je ne ressemble pas à un Hobbit, déclara Yohann qui donnait l'impression de jouer à la dinette.

– On en reparle de tes pieds poilus ? rétorqua Marion en le faisant se décaler pour s'asseoir aussi.

– Euh... les gars, vous êtes sûr que ça va tenir ?

Nous ne pûmes le savoir, alors que la voix du guide se rapprochait, ils se levèrent, l'air de rien. Nous ne savions pas trop ce que nous pouvions faire ou toucher à Hobbiton. Nous continuâmes notre marche dans le parc, et d'un nouveau point de vue nous observâmes la colline d'émeraude parsemée de quelques portes d'entrée sorties de terre comme si elles débouchaient sur des terriers. L'illusion s'arrêtait là car derrière les portes se trouvaient une pièce quasi inexistante, face à un mur de bois et de terre.

– C'est trop frustrant, ça ! dit Marion.

– Non mais regarde bien, ça valait le coup de se lever à six heures du matin ! assura Laura.

Elle lui montrait à nouveau le parc. C'était magnifique, et surtout complètement différent des paysages que nous avions traversés depuis Auckland. Le guide nous mena vers une autre maisonnette. Elle bénéficiait d'un porche recouvert de lierre sous lequel se trouvait une chaise à bascule.

– Amanda, Dimitri, c'est votre voyage. Allez, go ! dit Laura en nous indiquant de se mettre en dessous, prête à nous photographier.

– Je te laisse le fauteuil ? demanda Dimitri.

– Sans façon, je serai capable de finir les quatre fers en l'air.

Evidemment, au moment où je prononçai ces mots, je butai sur la petite marche du porche et trébuchai jusqu'à n'être retenue que par la porte. Les salopiauds se fendirent tous la poire.

– Laura, dis-moi que tu ne filmais pas, dis-je après avoir vérifié que le guide et les autres membres du groupe avaient loupé la chute.

– Je ne dirai rien. Allez les amoureux, on pose !

– Ma pauvre petite femme, dit Dimitri en me prenant sur ses genoux.

Il bascula ensuite sur la chaise et je poussai un cri de surprise, ne m'y attendant clairement pas.

– Nan mais, Amanda, on croirait que tu sors de pétaouchnok et que tu découvres la vie !

Please follow me to the green dragon !

Le guide venait de nous demander de le rejoindre. Marion répéta comme un perroquet sa phrase, pour faire genre « je sais aussi parler anglais, copain », mais c'était plutôt : « pliz felo mi dou zegrine blagone ».

Il nous emmena dans le bar d'Hobbiton, un vrai bar. Nous contournâmes le lac pour y arriver, et là encore la douceur des lieux m'apaisa. C'était génial, il s'inscrivait parfaitement dans la continuité de tout le bâti du village, tout était en bois à l'intérieur. Des grappes de raisins étaient sculptées sur les poutres. Malgré le soleil qui passait à travers les vitres rondes, la grande cheminée de pierre crépitait.

Une bière et des en-cas ouvrirent notre appétit.

– Alors, Dim, t'en as pensé quoi ?

– C'est sympa, honnêtement. Sans être un fan des films, c'est à voir. Enfin, on commence le séjour doucement.

Laura leva les yeux au ciel face à cet affront.

– Bon, toi je ne te demande pas, dis-je à ma meilleure amie qui aurait bien voulu refaire tous le circuit.

– Non, lui demande pas, après elle part dans ses trucs et on en a pour la journée ! se moqua Marion en la prenant affectueusement par les épaules.

– J'avoue, répondit-elle en souriant de toutes ses dents, les larmes aux yeux.

– Séquence émotion, prévint Anne.

– Amande, Dimitri, merci pour ce cadeau...

– Ouais, on est touché, répondit Marion à notre place, allez, on va retrouver Robine au parking !

– Ah, oui, la petite Rob, confirma Yohann en suivant sa trace.

La cerise déconfiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant