8. Sirène (3/3)

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– Tiens, Laracello ! Ça fait longtemps ! Tu bosses ici, toi ?!

Elle avait repris son air revêche. Elle trainait avec deux autres filles que je ne connaissais pas et qui semblaient aussi vulgaires qu'elle. Je voyais leur string dépasser de leur bas de jogging, et leurs faux ongles étaient si longs que chacun de leurs gestes étaient empotés. A quinze ans, ça promettait pour la suite.

– Oui, répondis-je, désarçonnée par sa manière de me parler.

– Eh ben, ça me ferait chier - c'est le cas de le dire - de nettoyer les chiottes, plutôt crever !

Elle me regardait comme si j'étais une moins que rien. Le changement d'attitude des personnes avait le don de me porter sur le système. L'inconstance me gênait car je n'y comprenais rien. Si j'appréciais quelqu'un, je l'appréciais partout et devant tout le monde, sans agir différemment. Il semblait que je n'étais plus assez bien pour mériter la considération de la jeune ado. D'un autre côté, notre amitié avait été bien tardive et éphémère. Dès ce moment j'aurais dû repenser au mot dont elle n'avait rien dit à Dimitri.

Tiphaine ouvrit son paquet de Skittles et jeta un morceau d'emballage par terre.

– Ce hall n'est pas très propre, dit-elle en regardant mon balai.

Voilà une autre bad girl, cliché au possible. J'avais toutes les armes pour lui répondre mais j'étais trop lente à la détente.

Killian sortit à ce moment-là de sa séance et me rejoignit. Tiphaine changea à nouveau d'attitude, lui faisant les yeux doux. Il ramassa le papier et lui fourra dans la main.

– T'as fait tomber ça.

Elle voulut répliquer, sûrement se présenter, lui mettre le grappin dessus, je pouvais voir sa bave mais il l'ignora, me prit par le bras et laissa le trio en plan. Je pouvais sentir sa jalousie.

– Merci, Killian. J'aurais aimé lui rentrer dedans moi-même...

– Mais t'as la conscience professionnelle, c'est bien. T'es plus intelligente qu'elle !

En fait je n'avais pas du tout pensé au risque de perdre mon taf.

– Non, c'est juste que je n'ai pas ton tempérament, répondis-je.

– Pourtant, tu ne te laisses pas faire au lycée. Pourquoi elle te fait peur cette pouffe ?

– Je ne suis pas si forte que ça.

Je redevenais celle qui s'excusait de vivre.

– Tu pourrais avoir le monde à tes pieds, et tu ne te rends même pas compte.

Je rougis à nouveau.

Cet été-là, Killian fut le premier garçon que j'embrassais et nous sortîmes ensemble pendant plusieurs semaines.


Wellington, la capitale de la Nouvelle-Zélande, s'avéra aussi vivante que colorée. Nous y passâmes deux jours avant de quitter l'île du Nord.

Après avoir laissé Robine et l'Elysium, nous rejoignîmes le centre-ville par la promenade du port. Les Kiwis et les touristes faisaient de l'aviron sur l'eau, se déplaçaient dans les rues à pieds ou à vélo, buvaient des bières sur les terrasses. L'ambiance me plut immédiatement.

Nous entrâmes dans le « Te Papa Tongarewa ». Devant le plan du musée, l'évidence nous sauta aux yeux :

– Six étages d'expositions ! Il va falloir choisir, dis-je.

– Prenez tous un plan. On se retrouve à l'entrée dans une heure et demie, okay ?

Laura et Anne s'en allèrent de leur côté vers les collections de photographies, Marion brancha ses écouteurs et s'en alla vers les animaux empaillés, Dimitri, Yohann et moi partîmes sans but précis dans les salles du bas. La foule et nos intérêts différents finirent par nous séparer tous les trois.

Au bout d'une demi-heure, pendant que j'admirais une sculpture maorie, le reflet d'une femme dans la vitrine attira mon regard. Je n'y croyais pas, mon cerveau devant me jouer des tours. Elle s'éloigna, tandis que je me dissimulai derrière une statue de peur d'être vue.  Je lançais un regard vers la femme. Sa blondeur et cette démarche. Chloé Desneiges ?

Calme-toi, Amanda. Tu vires folle.

La jeune blonde s'en alla dans la pièce suivante. Je sentis une poussée de sueur sur mon front. Exactement comme lorsque l'on est pris la main dans le sac à faire quelque chose de défendu. Et si c'était vraiment elle et si c'était son message à elle ? Il fallait que j'en ai le cœur net. J'accélérai le pas à sa suite. Le flot de visiteurs ne m'aidait pas à progresser rapidement. J'allais sûrement la perdre.

Je me félicitais de ma grande taille, au moins je pouvais voir assez loin. Elle fut enfin dans mon champ de vision. Je serrai mes mains autour de mon sac, pour me donner courage et l'interpellai. Mon rythme cardiaque résonnait dans mes oreilles. Qu'allais-je faire si c'était elle ?

– Excusez-moi ! Excuse me !

Elle se retourna, perplexe :

– Yes.

Les contractions dans mon ventre se relâchèrent. Ce n'était pas elle.

– Rien, euh, nothing, sorry, répondis-je en souriant.

Voilà qu'elle devait se demander c'était qui cette folle. Je ne pus m'empêcher de rire devant ma stupidité.

Non mais la fille traumatisée...

J'allais m'en aller raconter ça à Dimitri mais ce fut Yohann qui tapa sur mon épaule.

– Amanda ? Je peux te parler ?

Bien, il semblait ouvert à la conversation et ça allait me changer les idées.


Notes à moi-même :

1. Retrouver le même paréo que Robine.

2. Penser à confirmer l'activité pour demain.

3. Ne plus penser à Ben. Ne pas le croire surtout. Ne pas repenser à Chloé. Trouver des Skittles.

4. Essayer la méditation. Ou la poterie.

Parade of Lights, Tangled Up

La cerise déconfiteWhere stories live. Discover now