2. Valises (1/3)

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Nous déambulions avec Laura dans les allées des galeries Lafayette, boulevard Haussman. Le soleil franc de cette fin d'hiver traversait la coupole au-dessus de nos têtes. Je ne me lassais jamais de sa beauté, elle éclairait les balcons qui suivaient les galeries en demi-cercle dans les étages. J'imaginais toujours les clientes qui se trouvaient là au début du siècle dernier. C'était bien l'un des rares centres commerciaux où j'allais sans rechigner.

Nous venions d'acheter deux paréos imprimés d'ananas et de flamants roses, motifs qui inondaient les enseignes de déco et de vêtements depuis trois ans. Oui, nous avions cédé à la mode. C'était les derniers achats superflus pour notre voyage à venir.

Laura, en fidèle passionnée des films de Peter Jackson, avait potassé le guide ultime The Lord of the Rings Location Guidebook. Elle l'avait commandé sur Amazon dès le lendemain de notre soirée d'annonce.

– Tu savais que c'était un best-seller ? On peut visiter Hobbiton, tu savais ? Tu savais que...

– Respire, Laura, respire !

– Non mais c'est trop cool ! Vous ne faites vraiment rien comme tout le monde, toi et Dimitri. On peut dire que vous vous êtes bien trouvés.

– Tu ne t'y attendais pas, à celle-là, hein ?

– C'est clair ! Je ne connais personne qui invite ses amis à l'autre bout du monde, encore moins pour leur voyage de noces.

Ses derniers mots étaient lourds de sous-entendus.

– T'inquiète, on a pris de l'avance ! répliquai-je, malicieuse.

– Oui, Amanda, ça se voit que tu es épanouie, merci de me le rappeler tout le temps !

– Cet air que tu prends, pouffai-je. Avec Anne quand vous vous y mettez, on a le droit à tous les détails.

Laura se fendit d'un énorme sourire. Je serrai un peu plus son bras alors que nous marchions côte à côte parmi la foule des clients.

Depuis des mois, nous n'avions jamais été aussi proches. Nous nous voyions encore plus qu'avant, toujours pour des heures de conversations teintées d'humeur joyeuse. Et de nombreuses confessions.

Laura et Anne espéraient que la dernière étape pour l'adoption se concrétise par l'arrivée d'un « Lauranne » comme j'aimais dire. Un voyage en Malaisie était prévu pour l'automne. J'étais la seule dans la confidence, même ses parents n'en savaient rien. Il fallait que ça marche pour elles, il le fallait.

Nous sortîmes dans les rues pour manger un panini sur le pouce. Sans stopper notre attitude de pipelettes, nous rejoignîmes L'atelier 9, une librairie choisit par ma maison d'édition pour une dernière séance de dédicaces avant le départ pour la Nouvelle-Zélande. Une longue file de lecteurs attendait déjà devant la porte fermée.

Je les saluai rapidement, ils furent surpris et s'animèrent soudain, excités. J'étais déjà rentrée mais Laura resta dehors et se mit au bout. J'avais pourtant insisté pour qu'elle entre avec moi et reçoive l'autographe en premier. Mais à quoi bon être la meilleure amie de l'auteure si c'est pour ne pas en profiter ?

Le libraire discutait avec mon vigile. J'avais beau avoir modifié les prénoms des personnages, et romancé un peu le tout, j'étais un peu parano. Au plaisir des séances de dédicaces toujours plus impressionnantes s'ajoutait l'appréhension de voir surgir Chloé Desneiges.

Alors Janine, mon éditrice, avait accepté de me faire « protéger » par Sébastien, elle en avait également fait un axe de communication pour la publicité du livre.

– Vous avez tout ce qu'il vous faut ? me demanda le libraire une fois que je fus installée.

– C'est parfait, répondis-je en déplaçant la bouteille d'eau pour étaler mes stylos-feutres.

De part et d'autre de ma table se trouvaient deux présentoirs inondés d'exemplaires de mon roman. Ils étaient tous disposés pour former une pièce montée, au sommet d'une corbeille de cerises. Ça faisait toujours son petit effet auprès des lecteurs.

Si pour l'instant je refusais la promotion à la télé, je me consacrais corps et âme à ces rencontres. Pour chacun d'eux, j'avais un mot de remerciement, et souvent une question. J'acceptais aussi de répondre aux leurs pendant que je signais toujours sur la première page vierge « L'aventure commence ici ».

Une centaine de personnes avaient fait le déplacement. Les minutes et les visages défilaient. Seul l'élancement dans mon poignet me rappela de faire une pause. Laura présenta fièrement son exemplaire sur la table.

– Tu aurais pu éviter une heure d'attente debout, murmurai-je en dessinant un cœur.

– Mais c'est pourtant génial les files de dédicaces, s'enthousiasma-t-elle. On discute du livre, j'écoute les histoires des autres, leurs avis, je meurs d'envie de dire « eh, ouais, c'est ma pote ».

Je réalisai que je n'avais jamais assisté à une séance de dédicaces de toute ma vie en tant que lectrice.

– Allez, viens t'asseoir derrière, dis-je en lui rendant le livre.

– Non, merci, Amande. Je vais rentrer, j'ai pas commencé ma valise.

– Okay, je t'appelle ce soir.

Sur ce, Laura quitta la librairie et une lectrice la remplaça.

– Je suis tellement contente de vous rencontrer.

– C'est moi qui suis flattée de rencontrer mes lecteurs, répondis-je.

– C'est vraiment vrai, tout ce qui se passe ?

– Presque.

– J'ai adoré, vraiment. Mais je ne sais pas comment vous faites. J'aurais peur des représailles...

La cerise déconfiteWhere stories live. Discover now