7. Art défaut (3/4)

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Robine nous emmenait à Napier, une cité de caractère qui d'après mon guide valait absolument le coup d'œil. Nous avions prévu de faire un tour dans la ville, avant d'assister à un concert et de se rendre au restaurant.

Ben avait probablement raison. Ça ne pouvait être que quelqu'un de mon groupe qui avait déposé le papier. Une simple farce ou une menace ? Dur à dire. Laura, Anne et Dimitri étaient éliminés d'office, sans aucune réserve. Restait Robine et Yohann.

Si pour le meilleur pote de mon mari, j'imaginai une mise en garde pour me taire, pour Robine je n'avais rien.

La jeune femme, plein d'entrain, conduisait l'Elysium tout en discutant avec Dimitri, assis à côté d'elle et Yohann.

Je me tournai vers Anne et Laura :

– Dites les filles, je peux vous poser une question intime ?

Marion, qui jouait sur son smartphone, me chambra :

– Non, Amanda, tous les hommes n'ont pas un petit zizi. Demande à moi plutôt qu'à elles, tu n'as pas remarqué que Laura et Anne étaient en couple ?

– Cette nana est folle, dit Anne en riant.

– Qu'est-ce que tu veux savoir, Amande ?

– Vous n'êtes pas obligées de répondre, mais avant de faire votre coming-out, auriez-vous aimé qu'un proche vous disent qu'il le savait ?

– Ah, je m'attendais à plus croustillant, déclara Marion en replongeant dans son jeu.

Laura et Anne se regardèrent, un peu perplexes. Elles réfléchirent quelques secondes.

– Je ne sais pas trop, répondit Laura. J'étais jeune, tu as été la première à savoir. Je me rappelle avoir pensé que j'aurais aimé ne pas avoir à le faire, que c'était une injustice comparé aux hétéros. Mais je ne pense pas avoir songé à ça. Par contre, t'avoir comme confidente et alliée a tout changé, ensuite. T'en penses quoi, Anne ?

Laura dégagea une mèche de cheveux sur la joue de sa femme, d'un geste affectueux.

– Oui, alors disons que la question ce n'est pas tant de savoir si on aurait aimé que quelqu'un le sache avant qu'on ne le dise. La question c'est surtout à quel moment est-on prêt à s'assumer ? A qui on considère pouvoir le dire ? A qui on veut le partager et qui ça ne concerne pas ? Mais c'est quelque chose de solitaire, que l'on ne peut régler que soi-même.

– D'accord, mais... admettons, Laura, je me rappelle de ta difficulté à me le dire. Tu ne penses pas que si quelques jours avant je t'avais dit « Laura, je sais que tu aimes les filles, et ça ne changera rien à notre amitié », ça ne t'aurais pas enlevé un poids ?

– Peut-être... enfin, c'est sûr, je me serai sentie comprise, et ça m'aurait évité de le formuler, mais le dire à voix haute était important, pour moi.

– Ma famille était très vieillotte dans ses principes, alors moi je pense que je l'aurais fait plus tôt si j'avais eu une amie qui m'avait percé à jour. Enfin, je suppose, ajouta Anne.

– Pourquoi tu veux savoir ça ? demanda ma meilleure amie.

– Comme ça.

– Amanda, tu vas nous faire ton coming-out ? demanda Marion, sans y croire.

– Tu cherches de l'inspiration pour ton nouveau livre ? demanda Laura.

– Oui, c'est ça, mentis-je.

Cette conversation m'aida à me décider. Je ne voulais surtout pas mettre mal à l'aise Yohann, juste lui dire que je l'avais surpris et que s'il voulait taire son attirance pour les hommes, il devait être plus discret, puis surtout lui faire savoir que je serai présente pour lui. Je ne sais pas si j'allais commencer par lui montrer la feuille de Carmen.

Pour le moment nous n'étions pas encore aux abords de la ville de Napier. J'en profitai pour aller jeter un œil au profil professionnel de Robine. Je lus tous les avis des vacanciers sur les deux années passées. Elle n'avait que des bons retours sur son amabilité et sa serviabilité. Dans le médaillon de sa photo de présentation, elle souriait de toutes ses dents et ne paraissait même pas ridicule.

Je devenais parano. En quoi Robine aurait-elle voulu me menacer de quoi que ce soit ? Dimitri avait trouvé son contact lui-même. Lorsqu'elle avait dit que c'était un bel homme en voyant la photographie, elle n'avait rien fait de mal. Peut-être même qu'elle visait Yohann pour montrer que lui, contrairement à Dimitri, ne lui faisait pas cette impression.

Objectivement, elle était gentille, discrète mais présente à la moindre demande et d'une humeur joyeuse et sereine. Trop parfaite ? Non, elle avait des défauts, on ne peut plus humains. Je rangeai mon smartphone et dormis un peu.

La cerise déconfiteWhere stories live. Discover now