18. Ferry surprise (1/3)

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Le Ferry reliait l'île du Sud jusqu'au Nord en moins de quatre heures. En arrivant au niveau de l'embarcadère, je fus soulagée par ce monde qui grouillait : sur les ponts, sur la passerelle et dans le port. Robine montra le laisser-passez pour embarquer l'Elysium à bord, que des centaines de curieux regardaient depuis les hauteurs. Marion mima un salut royal de la main.

- Tu te prends pour Elizabeth II ? demanda Yohann.

- Sa descendante, bouffon !

- J'aime les mots d'amour.

- Kiss my ass !

Leur joute verbale nous fit sourire avec Dimitri. Il restait assis près de moi, à me caresser le bras, et je luttais pour ne pas m'endormir.

- Attendez-moi ici, je vais parler au capitaine, déclara Robine.

- Pourquoi ? demandai-je.

- Pour lui dire que nous sommes arrivés, répondit-elle.

- Mais oui ! dis-je en me rappelant d'un élément essentiel de notre circuit.

- Encore des cachotteries ? demanda Anne, mais d'un ton qui ne se voulait pas accusateur.

Nous avions privatisé le pont supérieur, avec traversée en compagnie du capitaine pour une visite privée.

- C'est de la bombe ! explosa Yohann.

Le départ était prévu dans vingt minutes. Nous convînmes de ranger un minimum la pagaille à bord de l'Elysium en attendant Robine. De la fenêtre, je voyais les autres véhicules, de nombreux camping-cars pour l'essentiel, dans ce garage flottant. Robine revint et expliqua :

- Changement de programme, le capitaine a un imprévu et ne pourra pas nous recevoir.

- Ah oui ? demanda Dimitri.

- Mais il n'y a aucun problème pour vous laisser accéder aux quartiers supérieurs, s'empressa de préciser Robine. Vous pourrez rester au bar et dans la salle de repos. Voici vos pass !

Elle dut penser que nous allions être déçu mais à ce stade, manquer un simple entretien avec le capitaine du Ferry était le moindre de mes soucis. Je ne savais même pas si j'aurais été capable d'écouter et de m'intéresser à ces propos, et les autres semblaient du même avis que moi.

Nous descendîmes tous de l'Elysium et empruntâmes le chemin réservé aux piétons pour monter aux niveaux supérieurs. A chacun des ponts franchis, Marion ricanait. Vers la fin, alors que nous étions au niveau des cabines de luxe et aussi de celle du capitaine, elle lâcha :

- Au revoir troisième, deuxième et première classe, nous coulerons en dernier !

La sirène du Ferry retentit tandis que nous quittions le port. Nous nous éloignions des côtes de l'île Sud.

J'étais un peu nostalgique. Si la première partie du séjour avait été presque parfaite, la seconde avait bel et bien été gâchée et écourtée. Le bénéfice repos et coupure des vacances étaient inexistants.

Laura, Anne, Marion et Yohann prirent place dans les fauteuils confortables du bar d'où la vue panoramique était d'enfer. Je les rejoignis avec Dimitri, qui me connaissait par cœur et suggéra :

- Tu devrais appeler tes parents.

D'une, il savait que ça me ferait du bien, de deux, il savait qu'ils s'inquiéteraient car ce n'était pas dans mes habitudes de ne pas donner de mes nouvelles, même si c'était un simple texto de bonjour.

Il me prêta son téléphone. Je me posai à mon tour dans le coin café, branchai le chargeur dans la prise, bien que le smartphone de Dimitri fût presque complètement chargé, une peur depuis nos mésaventures de batterie.

- Coucou, ma chérie.

- Maman, je ne te réveille pas ?

- Non, pas du tout. Je suis contente de t'entendre. Tout va bien ?

- Très bien.

Je ne pouvais pas lui dire, mes parents se seraient sentis impuissants, peinés, paniqués. Autant les préserver pour l'instant. Nous aurions des anecdotes à leur raconter à notre retour.

- C'est plus proche de la fin que du début.

- C'est vrai, ça passe tellement vite !

Je lâchai des phrases communes, mais en fait, j'avais l'impression d'avoir quitté la France depuis des mois. Le souvenir de mes derniers achats boulevard Haussman avec Laura semblait sorti d'une vie antérieure. Je n'avais pas lu les derniers mails de mon éditrice tant l'attention que mon livre avait suscité m'effrayait maintenant que j'étais la cible d'un tordu.

- Tu vas bien ? Tu as une petite voix ?

Ma mère. Elle savait tout. Toujours.

- Nous n'avons pas dormi. Et je suis un peu triste que ce soit terminé, mentis-je.

Elle me rassura, me dit que les bons souvenirs seraient toujours là, qu'elle, mon père et mon frère avaient hâte de nous revoir, qu'on leur manquait et qu'ils feraient un grand repas avec nous tous dès notre retour au pays.

Je raccrochai avec un bien meilleur état d'esprit. Il suffit de la voix d'une mère pour oublier tous les soucis.

La cerise déconfiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant