14. Crépuscule (3/5)

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Une vingtaine de minutes plus tard, après avoir emprunté des chemins sans croiser personne, Robine m'indiqua où me garer, à quelques mètres d'une falaise.

– Y'a personne, ici. On ne peut pas aller plus loin, mais c'est mon panorama préféré sur cette partie de l'île.

– Ne t'approche pas trop, hein. Je te surveille ! déclara Laura.

Les deux femmes eurent la gentillesse de ne plus me parler de Dimitri, et nous longeâmes un sentier pour profiter de la vue, sans surprise à nouveau incroyable.

Je me retrouvai devant un vaste paysage d'îlots sauvages dans la mer, des rochers majestueux où l'on ne pouvait voir aucune trace d'activité humaine. Une vision paradisiaque dont je ne me laissais pas de contempler.

Laura était la seule à avoir son smartphone.

– Venez, faut prendre une photo !

Je tendis le bras, de sorte à ce que nous apparaissions toutes les quatre dans le cadre. Robine proposa de nous prendre en photo. Mais une notification s'afficha.

– Batterie faible...

– Déjà ! Ici, à force de chercher le réseau, mon portable ne tient pas la matinée, pesta Laura.

J'avais aussi remarqué la dizaine d'appels en absence de Dimitri sur le portable de ma meilleure amie.

Nous contemplâmes à nouveau le paysage. Robine me demanda :

– Pas de signe de ceux qui sont rentrés dans votre chambre ?

– Non.

– Toi non plus tu n'as rien remarqué ? On ne nous a pas suivis ?

– Non, rien d'anormal, répondit Robine.

– Je suppose que le voyage est terminé ? dit Marion.

– Je... je ne sais pas.

Les filles s'assirent dans l'herbe et je fis de même. Ecourter le voyage était bien dommage. Je me disais qu'une fois Dimitri au courant, nous serions protégés, parce que c'était comme ça avec lui, il ne pouvait rien m'arriver. Et en même temps, peut-être aurai-je du parler à la police de tout ça quand j'en avais eu l'occasion après ma chute.

Mais pour le moment, la morsure de la dispute avec mon homme était bien plus vivace que le reste.

Devant l'océan, je repensais à mes erreurs passées. Mes souvenirs m'emportèrent lors de ma première année d'université, alors que l'hiver humide s'éternisait...

***

C'était une époque étrange. Je n'avais rien de spécial à reprocher à mes études ni à l'ambiance au sein de la promotion. Le problème c'était mon manque d'engouement pour les choses. Les jours s'enchaînaient, semblables, j'étais dans une routine qui me rendait molle et sans animation. A croire que je faisais ma crise d'adolescence en mode homme des cavernes qui ne répond que par monosyllabes à ses parents.

Enfin, pour être franche, une chose m'animait ces semaines-là : la déferlante Twilight. Raison peu explicable : j'avais souvent fui les comédies romantiques adolescentes. Pourtant j'étais déjà allée m'asseoir devant l'écran de cinéma trois fois, sans pouvoir déterminer si Edward me plaisait ou non. Je ressortais de ces séances dans un état de mélancolie douce, très agréable. Pour retrouver ce sentiment dans le monde réel, et ré-imaginer les scènes qui m'avaient plu, j'écoutais la bande originale en boucle, découvrant l'existence de Paramore, Iron & Wine, redécouvrant Linkin Park ou Muse, mais surtout la musique instrumentale de Carter Burwell. Une BO planante et nostalgique.

Ça virait à l'obsession.

Un lundi, ma mélancolie était à son paroxysme. La grisaille n'avait pas permis au soleil de se montrer pendant des jours, j'avais passé un week-end merveilleux avec Laura et d'autres amies du lycée dans un gîte somptueux (nous avions d'ailleurs débattu sur Twilight une bonne partie de la soirée, entre deux verres de punch qui laissaient nos voix un peu plus aiguës chaque fois).

Il pleuvait encore et il restait encore quelques cadavres de feuilles mortes près de l'abribus qui étaient devenus un mélange mou et dégoûtant.

A bord, toujours accompagnée de mon Ipod et du Full Moon des Black Ghosts, j'avais le moral dans les chaussettes. Voilà que le film même commençait à me démoraliser, comme si je prenais conscience de ma solitude parce que les émotions procurées par l'histoire n'étaient qu'un fantasme.

Le hasard, ou le destin, me fit tomber nez à nez avec...

– Killian !

La cerise déconfiteWhere stories live. Discover now