13. Antidouleur (3/3)

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Robine, après s'être garée, nous laissa pour se reposer quelques heures. Le petit-déjeuner était terminé, alors nous sortîmes, pressés de se dégourdir les jambes. Notre chauffeuse nous avait indiqué un sentier qui longeait la côte. Nous étions tous guillerets, marchions avec énergie et bonne humeur.

La vue sur la mer et les plages en contrebas tranchaient avec la vue côté terre. Marion et Yohann chahutaient. Il fit semblant de se cogner à l'un des panneaux qui mettaient en garde les promeneurs du danger de l'érosion, ce qui fit sursauter Marion qui le poursuivit en essayant de lui botter le postérieur.

J'étais avec Dimitri quand mon téléphone vibra. Ce n'était pas la première fois que je l'avais senti dans ma poche, mais la découverte des lieux et notre discussion m'avaient fait oublier ce détail.

– Mon assistant m'a appelé.

– A cette heure-ci ? Merde, y'a un problème ? demanda Dimitri.

Tout ce qui concernait Wedding Wedding ne devait pas m'être transmis pendant le séjour. Ordre de Dimitri que mon assistant avait trouvé normal.

En France, c'était la nuit.

– Il a essayé de m'appeler trois fois... ajoutai-je en le rappelant.

Dimitri fronça les sourcils, une expression qu'il prenait rarement, seulement lorsqu'il était préoccupé, ou que quelque chose de sérieux se passait. Anne et Laura marchaient au-devant.

– Allô ?

– Amanda ! Mince... pardon mais... c'est... le... et puis...

La liaison était très mauvaise. J'entendais l'air paniqué de mon assistant et seulement quelques bribes de mots entrecoupés.

– Je n'ai rien compris ! dis-je en essayant de contrôler mon inquiétude. Répète, je n'entends pas !

– Ils sont rentrés par effraction... et parce que... alors...

– Par effraction ? Quoi ? Répète, ça coupe !

Mes amis s'étaient tous retournés et Dimitri s'approcha.

– Y'a pas de réseau, je comprends rien, piaillai-je.

Je bouchai inutilement mon oreille et me rapprochai du bord d'où le signal semblait meilleur.

– Dans le salon ! Les tables, la décoration, la vaisselle, tout a été saccagé ! Les flics sont là mais je n'ai pas encore prévenu les mariés. Qu'est-ce que je fais ?

Putain de chiotte de merde. Je me rappelai que le premier mariage de la belle saison devait avoir lieu le lendemain.

– Respire, redis-moi tout !

Sa voix me paraissait venir de loin mais au moins ça ne coupait plus. Je me rapprochais encore du bord de la falaise, tout en disant à Dimitri plus loin :

– La salle de mariage a été vandalisée !

Pendant qu'Anne, Laura, Marion, Yohann et Dimitri se rassemblaient, le visage choqué, j'écoutais le récit de mon assistant.

– Je venais pour les dernières vérifications de la soirée. Avec le propriétaire on a vu que la porte avait été forcée. Les petits cons se sont fait plaisir ! C'est un champ de ruines ! Tout est foutu. Je suis désolé, je sais... vacances... demain...

Mon cœur tambourinait et mes yeux étaient complètements mouillés. La goutte d'eau qui fait déborder le vase. Mon affaire ! La panique. Que pouvais-je faire de l'autre côté du globe ?

– Merde, je n'entends plus ! Attends !

Je marchai comme une folle vers une plateforme en bois qui surplombait la mer. Le vent se leva.

– Bon alors...

Mais je fus coupée par un drôle de bruit. Et soudain, j'eus l'impression que le sol se dérobait. Je lâchai mon smartphone et me retrouvai à genou. Ce fut d'abord le cri de Dimitri qui m'alerta du danger :

– Amanda !

Je redressai la tête et vis qu'une partie des poteaux qui retenaient la plateforme sur la falaise s'était affaissée. Dans la précipitation, je n'avais pas fait attention aux bandes de plastique qui en interdisait l'accès. Le bois était pourri, et la falaise toute érodée.

Je savais qu'on disait toujours qu'il ne fallait pas regarder en bas mais je ne pus m'en empêcher. Je devais être à six mètres de hauteur. La mer s'agitait sous moi, indifférente, et les écueils émergeaient de l'écume.

Mes amis, figés, regardaient en masquant leur trouble. Ils se focalisèrent sur Dimitri qui était tout proche de la plateforme. Il s'approcha délicatement, sachant bien qu'il ne pouvait me rejoindre au risque faire tomber toute la structure.

Le vent ne me sembla pas du tout agréable. Mes larmes coulaient et je n'osai pas les essuyer.

– Am', regarde-moi. Ça va aller. Avance doucement.

Il murmurait, de peur que la résonance de sa voix forte fasse céder la plateforme. Je retins ma respiration, avançai d'un premier pas. Une autre secousse ébranla la plateforme, un des rivets avait sauté. Je poussai un cri en même temps que le « Merde ! » crié par Laura qui se tenait la tête, des larmes plein les yeux.

Mais je revins sur Dimitri. Il ne rompit pas le contact visuel. Comme s'il voulait m'attirer saine et sauve à lui par la force de son regard. La peur se lisait sans ses yeux, et je sais qu'il la voyait aussi dans les miens.

– Tu es légère, ça va aller, viens vite, répéta-t-il.

J'avançai encore mais sentis que ça tombait.

Alors je vis Dimitri, le regard fou, se lancer vers moi, tendant sa main en criant :

– Cours !

Mais l'attraction était trop forte, la chute inéluctable. Les planches cédèrent, m'emportant avec elles.

Ma dernière image fut la vision de Dimitri alors que je plongeai vers les récifs.


Daughter, Medicine

La cerise déconfiteDonde viven las historias. Descúbrelo ahora