flash-back
Laura et moi remontions la longue avenue qui menait à l'immeuble de Killian. Elle s'était résignée à tenir mon parapluie car je ne m'arrêtais pas de faire des grands gestes pour manifester mon enthousiasme. Depuis le mois de septembre elle avait le droit à mon compte-rendu hebdomadaire sur la vie de Bree, Susan, Gabrielle et Lynette.
– Gaby doit quitter son mari ! Elle n'est pas heureuse et John est trop chou ! Oh, et puis Susan qui joue les nounouilles avec Mike ! Argh !
Je n'avais jamais été une grande sérievore jusque-là. Je m'étais contentée de la trilogie du samedi et de quelques épisodes éparpillés de Dawson. Mais Desperate Housewives sentait déjà le renouveau avant même que je sache de quoi il était question. Je devais être rentrée au lycée depuis une ou deux semaines seulement et j'étais tombée sur le magazine télé par hasard. Ma mère avait laissé la page ouverte sur les programmes du soir. Sur la miniature photographique de la colonne Canal+, j'ai immédiatement reconnu Teri Hatcher. Ni une, ni deux, j'avais appelé Laura sur mon tout récent téléphone portable à clapet.
– Laura !!! Y'a Loïs qui joue dans une nouvelle série ce soir !
– Loïs ?
– Mais Loïs Lane dans Les nouvelles aventures de Superman, sur M6 !
– Ah oui, oui, Teri Hatcher c'est ça ?
– Oui !
– Et ça raconte quoi ?
Je lui lus rapidement le résumé. Et plus impatientes que jamais, nous attendîmes le premier épisode du soir. Heureusement que nos pères avaient souscrits à un abandonnement Canal+. Pour ma part, j'ai été conquise dès les premières secondes, fascinée par le générique, et ravie de revoir Teri Hatcher avec un rôle sur mesure.
Desperate Housewives changea radicalement ma vision des séries, et s'ensuivit un renouveau tel que plus rien ne sembla pareil, comme si il y avait eu un avant et un après. Lost, Grey's Anatomy ou encore Prison Break ont rapidement suivi.
Tout en continuant de caqueter en refaisant le cours de l'épisode 17, Laura m'arrêta.
– C'est ici.
L'ascenseur nous mena jusqu'à l'appartement de Killian. Ses parents étaient partis en vacances avec ses petites sœurs et il en avait profité pour organiser la soirée d'Halloween. Notre première soirée avec la classe. Je sonnai.
– La seconde B du lycée de Pont-Polly est dans la place ! Tu es la dernière, entre, avec ... ?
– Laura, bonsoir.
– C'est l'amie dont je t'avais parlé, dis-je à Killian.
– Ok, entrez, mesdemoiselles !
Nous abandonnâmes le parapluie, nos capuches et ouvrîmes nos manteaux pour les jeter sur le lit d'une des chambres qu'il avait désignée.
Laura chaussa son dentier de canines allongées.
– Tu es le troisième vampire, expliqua Killian à Laura.
– Je ne suis pas un simple vampire. Je suis Mina pour être plus précise, répondit-elle.
Mais il ne comprit pas la référence.
– Dans Dracula, ajouta-t-elle.
– ah... Et toi, Amanda ? T'es canon !
Je portais une perruque blonde qui descendait en boucles jusque sous ma taille et une robe blanche à la grecque ou à la romaine.
– Je suis Phoebe Halliwell, dans l'épisode final de la saison 5.
Cela ne lui parla pas non plus. Mais il me complimenta à nouveau sur mon look et nous entraîna enfin vers le salon.
Presque toute la classe avait pu venir. On sentait inconsciemment que c'était important de s'y rendre. Comme un rite de passage. Toujours dans cette optique de trouver notre place au sein du groupe. Difficile de reconnaitre chacun du premier coup d'œil à cause des costumes, mais c'était l'occasion d'engager la conversation.
Elie et Chimène s'approchèrent de nous de concert pour nous saluer. Elles étaient flippantes en jumelles maléfiques sorties de Shining. Film que Laura m'avait malheureusement montré et dont l'ambiance avait hanté mes cauchemars trois nuits de suite.
– Alors c'est toi, Laura ?
– La seule et l'unique, répondis-je.
Nous nous embrassâmes. Puis Killian s'empara d'un micro.
– Joyeux Halloween et que la fête commence !
Il augmenta le volume et les élèves se ruèrent sur le buffet.
– Tu veux quoi ? me demanda Laura.
– Je sais pas trop. Un coca ?
– Pfff, Amanda, y'a de l'alcool !
Je me rappelais instantanément le sermon de ma mère lorsqu'elles nous avaient déposées au centre commercial. Elle avait accepté de ne pas se présenter au domicile de Killian pour m'éviter la honte mais avait insisté sur l'enjeu de la confiance qu'elle mettait en moi. Je lui avais juré de ne boire qu'un seul verre de boisson alcoolisée.
Laura revint avec des verres de vodka pomme. La première gorgée fut ... dégueulasse. Je n'osai pas vraiment le dire, les autres aimaient, ou prétendaient apprécié comme moi.
Les allées et venues entre la piste de danse et les saladiers de chips ne cessèrent pas. Au fur et à mesure, je sentis une chaleur au niveau de mes tempes et de mon ventre. Ce sentiment de légèreté et d'euphorie était étrange. Je sentais que cette impression de plein bonheur, de peurs disparues n'était pas normale. Mais finalement, je me laissais aller et repris deux autres verres.
Killian et Edouard lancèrent les araignées en plastique (prévues pour la déco) sur le groupe de filles qui les balancèrent à leur tour.
