Chapitre 3

37 7 42
                                    

Mishi avait perdu la notion du temps. Depuis combien de temps était-elle seule au milieu de cette vaste forêt ? Quelques mois ? Quelques années ?

Son père n'était jamais revenu. Leerian encore moins. Après tout, l'un avait disparu, et l'autre... pour ce qu'elle en savait, il était peut-être mort. Ou alors qu'ils l'étaient tous les deux.

Mishi avait eu envie de quitter Celeyste à de nombreuses reprises. Elle voulait retrouver son père, peu importe où il était. Mais une pixie lui avait dit que, seule, elle ne réussirait pas. Devait-elle alors aller à la recherche d'amis qui pourrait l'aider, ou au contraire attendre que ceux-ci se présentassent à elle ? Elle craignait de prendre la mauvaise décision, et c'était pourquoi elle ne prenait pas de décision du tout.

Adan, son père, lui manquait énormément. Il croyait que Mishi ne reviendrait pas, et c'était pourquoi lui était parti... ce qui était plutôt ironique.

Mishi envoya un dernier coup de hache, à bout de souffle. Le morceau de bouleau ce divisa en deux et s'effondra à ses pieds, s'égarant dans une grande pile de bois éparpillés. Elle avait chaud et froid à la fois, alors qu'elle portait l'un de ses vieux manteaux en peau de loup. Elle était protégée de cette eau glacée qui tombait en averse, trop glacée pour que la sirène qu'elle était sache en tirer du plaisir. Elle avait trop trainé à faire ce boulot ; habituellement, c'était son père qui s'en occupait. Lui avait la hache et elle rangeait le bois en une grande rangée, soutenu par deux sapins. L'hiver sur Nyirdall n'était jamais très long, mais elle avait la fâcheuse manie de démarrer du jour au lendemain, la prenant au dépourvu à chaque année. Hier encore, c'était une belle et chaude journée ensoleillée. Elle en avait passé la majorité à nager dans le lac, non loin de sa maison. Et évidemment, elle en avait ainsi négligé de se préparer pour le temps froid. Sans son père, Mishi avait du mal à s'y faire. Elle avait l'impression de tout allait de travers.

Soudain, son ventre gronda, si fort qu'elle en grimaça. Cela faisait maintenant quatre jours qu'elle n'avait rien mangé. Au début, il n'y avait pas de problème ; elle se servait dans le lac, dévorant les poissons plus vites que ceux-ci ne se reproduisaient. Et inévitablement, il arriva un temps où il n'y en avait plus. Son père était parti avec son arc, et elle-même avait perdu le sien depuis qu'elle s'était fait brièvement kidnapper par des pirates. Et si Mishi était une archère redoutable, elle ne savait pas en fabriquer. Elle avait bien essayé l'ancienne méthode, soit de pourchasser les animaux avec un couteau de cuisine, mais elle s'était rapidement fait une raison ; ce n'était pas comme ça qu'elle arriverait à se nourrir.

La solution était toute simple ; partir. Cette cabane au cœur de la forêt Celeyste n'avait plus rien à lui offrir. Et pourtant, elle ne pouvait s'y résoudre. Cet endroit était emplein de souvenirs. Des bons, mais des mauvais aussi. Ses parents, leurs amours... et leurs abandons.

Mais le même dilemme se présentait à elle, comme à chaque fois ; si je pars sans amis, est-ce que je vais ruiner mes chances de retrouver mon père ? Il y a six mois, une pixie lui avait assuré que sa seule chance était avec l'aide de six amis... alors qu'elle n'en avait que trois. Mais comment pouvait-elle cracher là-dessus ? Les pixies, ces êtres minuscule et doté d'ailes de papillons, avaient des dons de prophétie. Il ne fallait jamais ignorer leurs conseils, car elles savaient de quoi elles parlaient.

Mishi soupira platement, puis balança sa hache dans l'herbe morte. Tout en entreprenant d'amasser le bois qu'elle avait coupé, un souvenir, en apparence banale, lui était revenu en mémoire. Sa rencontre avec Leerian s'était produite au bord du lac. Au cours de leur toute première conversation, elle lui avait demandé, entre autres, ce qu'il était venu faire par ici. Et il avait répondu qu'une pixie lui avait dit d'aller vers le sud. Et le sud, c'était elle. De ça, Mishi devrait peut-être haïr les pixies, car c'était leur faute si tous ces problèmes leur étaient tombées dessus. Si Mishi n'avait pas rencontré Leerian, tous deux n'auraient pas croisé la route de Danayelle. Et Danayelle ne les auraient pas entraînés dans toute cette histoire, qui avait résulté à... cette situation. Mishi, complètement seule et qui meurt de faim.

Elle avait conscience d'être ridicule dans son raisonnement. C'était elle, et elle uniquement qui rêvait de partir. Elle avait sauté sur l'occasion d'avoir rencontré un elfe pour tout de suite l'inviter dans sa maison, car une superstition disait que laisser entrer un elfe chez soi attirait l'aventure. Elle l'avait fait, et tout le reste lui était tombé dessus, comme prévu... et même un peu trop. Mishi se serait volontiers contentée de la moitié de ce qui leur était arrivé. Cette dernière partie, où Leerian s'était transformé en loup-garou pour ensuite tenter de la dévorer, était clairement en trop. Et quand elle était revenue à la maison pour découvrir que son père avait disparu... non, vraiment ! Elle avait commis une grave erreur.

Une grave erreur qu'elle devait a tout pris recommencer. Malheureusement, comme l'avait dit la pixie, il fallait attendre les amis.

Au cours de ses longues réflexions, Mishi réalisa soudain qu'elle avait terminé de ranger tout le bois sous les deux sapins. Elle jugea qu'elle en avait assez fait pour aujourd'hui, et se dirigea vers sa cabane en rondin, non sans lever les yeux vers les arbres à la recherche de pixies. Il n'y en avait aucune en vue. Ces petites pestes avaient déjà commencé leur hivernation.

Mishi entra dans sa maison, retira son manteau et le suspendit au crochet près de la porte. Elle s'attendait à découvrir à l'intérieur une chaleur agréable, après tout ce temps passé sous la pluie glaciale. Mais le froid était ici aussi. En grommelant, elle courut jusqu'au salon, où était la cheminée. Le feu qu'elle avait fait juste avant de sortir était mort. Et pourtant, le bois était encore là, pratiquement intact, si ce n'était l'écorce légèrement noircie.

Leerian savait allumer des feux avec presque rien, pensa-t-elle avec amertume. Pendant leur aventure, il s'en était toujours occupé, alors que Mishi ne le lui avait jamais demandé. À croire qu'il le faisait par simple plaisir.

Mishi avait beau se répéter continuellement que Leerian était un monstre et qu'elle le détestait... en réalité, il lui manquait énormément. Une fois, elle avait même pris son courage à deux mains pour une petite expédition, qui lui avait duré la journée entière. Elle avait craint de se perdre en cours de route, mais elle avait bel et bien su retrouver la maison de Leerian. Une cabane vide, sans vie... avec une porte qui pendait sur ses gonds, éclaboussée à quelques endroits de sang séchés. Et aucun Leerian à l'intérieur.

C'est mon père, qui me manque. Pas Leerian, bon sang ! se répétait-elle en boucle, tout en s'efforçant de rallumer son feu de cheminée. Elle s'y acharna pendant plusieurs minutes, avant d'abandonner dans un gémissement pitoyable.

Je n'y arriverais pas. Il faut que je parte d'ici.

Demain. Si, demain, ses « amis » ne se pointaient pas pour la ramener dans une nouvelle aventure... elle partirait elle-même à leur recherche.

Mishi essuya une larme au coin de son œil, tremblante de peine et de rage contenue. Je n'arriverais à rien, sans elfes. Qu'est-ce que la simple sirène que je suis parviendrait à faire, complètement seule ? J'ai besoin de toi, Leerian ! 

La Légende de Nyirdall, Tome 2Where stories live. Discover now