Chapitre 31

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Nuvem s'était évanoui pendant tout juste une minute. Ou comme aimait le dire Tys, son esprit avait saturé par le surplus d'information. Quand le garçon reprit connaissance, il n'avait toujours pas quitté son état de choc ni la position dans laquelle il était tombé. Un seul œil ouvert, le visage contre terre, il faisait profil bas tout en s'efforçant d'espionner la conversation qui se jouait à quelques mètres de lui. Et surtout, profiter du temps pour trouver une solution. Il entendait leurs mots clairement, mais leurs langues, d'une résonance douce et mélodieuse, ne faisaient aucun sens pour lui.

Lentement, il inclina la tête, juste assez pour apercevoir celui qui était devant lui. Nuvem voyait une paire de pieds nus, un pantalon noir s'arrêtant tout juste au-dessus des chevilles. Une peau pâle, des orteils plutôt longs, et il fût même étonné de ne remarquer aucun poil. Dans son village, les gens se moquaient des hommes qui n'avaient pas de poil. Ils les appelaient des filles manquées. Ou peut-être que ceux-ci n'avaient pas encore atteint l'âge adulte. Oui, c'était surement ça. Après tout, quel adulte irait en forêt sans chaussures ?

Ils sont drôlement grands, pour des enfants, pensa-t-il alors. Et malgré lui, la solution évidente se présentait clairement dans son esprit, celle qu'ils avaient eux-mêmes affirmée. Ce sont des elfes. Mais les elfes n'existent pas.

Ils n'existaient pas, certes, mais il y avait beaucoup d'histoire sur eux. Ils savaient à quoi ils ressemblaient, ce qu'ils étaient capables de faire. Et celui aux cheveux gris, qui était passé si près de tomber dans son piège, avait très bien prouvé qu'il pouvait correspondre à la description. Comment il avait lancé l'une de ses flèches, à main nue, pour qu'elle se fiche si profondément dans une branche de l'arbre où il était caché ! Elle ne l'avait manqué que de cinq centimètres, et il ne doutait pas qu'elle lui aurait transpercé le crâne si seulement il avait visé un peu plus à droite. Et l'autre, là, celui à qui il continuait d'admirer les orteils, faute de pouvoir incliner la tête sans dévoiler qu'il était conscient. Il était entré dans son esprit, il avait senti sa présence parmi ses propres pensées. Et quand il lui avait parlé, il avait su, dès la première phrase, que quelque chose clochait. Car les mots ne venaient pas de sa bouche, mais directement de son crâne.

Celons les croyances de Nuvem, les elfes n'existaient pas. Mais les démons, si. Voilà, j'ai trouvé. Ce sont des démons.

— Regardez, le guide est réveillé.

Nuvem écarquilla les yeux de surprise. Comment avait-il su ? Il n'avait pas bougé, sa respiration était calme. Il avait fait attention ! Et surtout, comment faisait-il pour comprendre ce qu'il disait ? Il ne parlait pas sa langue, et pourtant...

Le démon aux pieds lisse se pencha sur lui, l'attrapa par les épaules et le redressa en position assise. Nuvem prit sur lui pour s'empêcher de gémir, de hurler, de démontrer la terreur qu'il ressentait jusqu'au plus profond de lui. Leurs regards étaient si étranges, si déroutants ! Allongé comme ceux des chats, des pupilles énormes... et ils étaient d'un bleu si intense !

Il doit voir sacrément bien, avec des yeux comme ça...

Le démon esquissa un léger sourire en coin, puis se retourna pour continuer la conversation avec ses suppôts. À nouveau, il ne comprenait plus ce qu'il disait. Mais maintenant qu'il était assis, il pouvait tous les observer à loisir. Nuvem était fasciné malgré lui par leur apparence. Ceux qui tentaient de se faire passer pour des elfes avaient tous de longues oreilles perçant de leurs cheveux, mais deux d'entre eux, au moins, portaient des souliers. Il fallait croire qu'à leur définition de la mode, le confort des pieds était optionnel.

Nuvem regarda cette fois l'une des filles, presque normale comparée à ses autres « elfes ». Pourtant, des plaques étranges apparaissaient sur sa peau, et il eut la drôle d'impression que c'étaient des écailles de poissons. Celle-ci avait pris son arc et s'amusait à bander la corde, comme pour tester sa rigidité. Et sous ses yeux ahuris, elle ramassa une flèche dans le pommier derrière elle, visa le ciel et tira. Trois secondes plus tard, tous entendirent un couinement d'oiseau, et l'un tomba pour s'écraser un peu plus loin dans la clairière, la flèche fichée en pleine tête.

La Légende de Nyirdall, Tome 2Where stories live. Discover now