Chapitre 45 (1/2)

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— Vous m'avez demandé, votre majesté ?

Alistair rayonnait dans l'uniforme gris des Maagoïs, avec les trois étoiles rouges sur le côté gauche de sa poitrine qui indiquaient son rang de capitaine. Il avait mis genou à terre, cinq pas devant elle, le regard rivé au sol comme l'exigeait le protocole.

Le cœur de Shaniel se serra. Sa grâce et sa prestance tranchaient avec ses ailes abimées. Il les avait repliées sur son dos, mais les dégâts étaient tels qu'ils resteraient visibles encore longtemps.

Et la distance qu'il avait mise entre eux était d'autant plus douloureuse. Bientôt une semaine qu'il était rentré, et il n'avait pas cherché à la contacter. Seule une convocation officielle l'avait obligé à paraitre ainsi devant elle.

— Relève-toi, Alistair.

Même ici, dans l'intimité de ses appartements, il jouait au subordonné modèle. Shaniel pinça les lèvres. Avait-il cherché à l'éviter, ces derniers temps ? Depuis son couronnement, Shaniel n'avait eu que peu de temps pour elle. La restructuration de l'Empire absorbait toute son énergie. Le jugement de Kolgulir de Meren pour trahison, notamment. Son jeune âge plaidait en faveur d'une manipulation mais Shaniel savait qu'elle ne pourrait jamais lui faire confiance, désormais. Il était trop influençable. L'exécution de Varyl n'avait surpris personne ; depuis sa capture, il arborait un air hébété en permanence, et ils n'avaient rien pu tirer de lui. Une frustration de plus.

Aujourd'hui, sa robe était d'un jaune pâle, ses yeux poudrés d'or, des plis et des voilages qui mettaient en valeur les courbes généreuses de ses hanches et de sa poitrine.

Elle comptait bien utiliser tous ses atouts.

Shaniel s'approcha jusqu'à le frôler. Alistair maitrisa son trouble mieux qu'elle ne l'aurait cru.

— Shani...

— Ne dis rien, menaça-t-elle.

— Il le faut, poursuivit Alistair avant de reculer d'un pas pour se soustraire à son toucher. Tu es Impératrice, maintenant. Ce n'est plus possible.

— Tu appartiens à l'une des Neuf grandes Familles ! protesta Shaniel. Pourquoi cela ne serait-il pas possible ?

— Parce que je ne veux pas être Empereur. Parce que je ne veux pas remplacer Rayad dans ce rôle. Tu sais bien que la situation de ma famille n'est aucunement comparable à la situation des huit autres. Notre union mettrait une lignée d'ailés sur le trône. Ils ne l'accepteront jamais.

Shaniel garda le silence. Il avait raison sur tous les points, mais par Orssanc ! Elle aurait tellement aimé qu'il en soit autrement. Elle l'avait si longtemps considéré comme un pion, n'avait réalisé que récemment à quel point il comptait pour elle. Devait-il lui échapper, comme son frère ? Passait-elle à côté de l'essentiel ?

Shaniel refoula les larmes qui perlaient à ses paupières.

Elle était devenue Impératrice, elle avait choisi de s'exposer en pleine lumière. Toute décision menait à un sacrifice, aurait dit son père. Elle pouvait modifier le destin de ses sujets sur un claquement de doigts, mais elle ne pouvait se résoudre à contraindre Alistair. Il avait déjà trop souffert pour elle.

— Très bien, dit-elle d'une voix qu'elle parvint à garder ferme. Je te rends donc ta liberté, Alistair.

Sa surprise lui fut aisément perceptible. Il s'était attendu à devoir lutter davantage.

— Tant de clémence ne te ressemble pas, dit-il enfin, suspicieux. Qu'attends-tu de moi ?

— Tu es devenu perspicace. Accorde-moi une dernière nuit. J'ai besoin de toi, Alistair, ajouta-t-elle comme il ouvrait la bouche pour protester. S'il te plait.

L'héritage des phénixWhere stories live. Discover now