Chapitre 16 (2/2)

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Plus loin, Surielle s'était accroupie devant le mur. Shaniel s'approcha. Des bas-relief ?

— Je crois que ça raconte une histoire, murmura Surielle en promenant ses doigts sur les contours. Regarde, là, ce doit être Era...notre Dieu, non, qui pose ses mains sur les têtes des gens à genoux ?

Shaniel fronça les sourcils.

— Je ne l'imaginais pas si... dominateur.

— Ça commence ici, intervint Taka.

Les jeunes gens la rejoignirent. Taka tapota le mur.

— Regardez ça. Le système solaire de la Fédération et ses douze planètes.

— Toujours cette silhouette humanoïde, nota Surielle.

Les cheveux longs, la toge plissée... elle était sûre qu'il s'agissait d'Eraïm. Le dieu était censé avoir créé les douze planètes ; était-ce qui était représenté ?

Le bas-relief courait sur tout le pourtour de la salle, découpait en vignettes de taille similaires. Avec un frisson, Surielle comprit que les gravures représentaient le tout début de la Fédération. Et s'interrogea aussitôt : pourquoi ce savoir n'était-il pas enseigné à tous ?

Surielle se décala pour suivre l'histoire. Sur la vignette suivante, il y avait une Porte, et la broche en forme de phénix indiquait que l'homme était un Prêtre. Elle pinça les lèvres. Les Portes avaient donc été créées très tôt, mais rien n'indiquait comment en créer de nouvelles, apparemment.

— On dirait un vaisseau, remarqua Shaniel.

Les autres la rejoignirent. Elle montrait du doigt ce qui ressemblait à une nacelle pourvue de courtes ailes, le nez enfoncé dans le sol, des tourbillons de fumée s'échappant de l'arrière.

— L'arrivée des Anciens, possiblement ? risqua Taka.

Il y avait sur le sol de la Fédération de rares vestiges que les historiens du Onzième Royaume attribuaient aux Anciens, une civilisation dont on savait peu de choses, excepté qu'ils avaient créé des merveilles impossibles à reproduire aujourd'hui.

— Si c'est le passé qu'il faut creuser, nous aurions dû aller sur Aquiléa, dit Surielle en fronçant les sourcils. Les Prêtres ne voient que la dimension spirituelle de notre existence, or nous avons besoin de concret !

— Je suis surpris que vous ne connaissiez pas vos origines, avoua Rayad. C'est un point que nous abordons lors de nos études.

Taka renifla.

— Surielle l'a dit, seuls les Aquiléens s'intéressent au passé. Nous avons suffisamment à faire avec notre présent, sans parler du futur.

Rayad soupira. Il avait espéré trouver de l'aide sur Sagitta, puis Mayar... ils avaient dû se rendre sur Massilia pour un soi-disant indice supplémentaire, et maintenant, Aquiléa ? Hors de question qu'il fasse le tour des douze planètes de la Fédération pour trouver une solution à son problème !

Découragé, il s'assit au centre de la salle. Cette piste se révélait être une perte de temps. Comment rentrer chez lui, comment faire pour aider son peuple ? Ses poings se serrèrent. Quatre jours, déjà, et il n'avait aucun moyen d'obtenir des nouvelles. Jamais il n'avait ressenti aussi cruellement la perte de la technologie impériale. C'était tellement frustrant de se déplacer si lentement, de ne pouvoir contacter directement les gens pour leur demander une information... Parfois, il enviait l'Émissaire, connectée au réseau du Wild par l'intermédiaire de son Compagnon. Ça, c'était innovant, et pratique ! Mais le prix à payer était élevé. Partager son âme et sa vie avec un simple animal ? Pour Rayad le risque était trop important.

— Là !

Le cri de joie de Surielle le sortit de sa torpeur. La jeune ailée était surexcitée, ses ailes s'agitaient, créant des reflets dorés sur les murs. Un instant, Rayad suivit les mouvements quasi hypnotiques. Le rouge se mêlait à l'or pour évoquer des flammes, dans un ballet d'une beauté à couper le souffle. Le charme se rompit lorsque Surielle se déplaça, et Rayad cligna plusieurs fois des yeux. Orssanc lui vienne en aide, il était plus fatigué qu'il ne le croyait.

Avec un soupir, Rayad se redressa et s'approcha de Surielle. Un large sourire barrait son visage.

— La plume sur sa nuque ! L'Éveillé !

— Loin de moi l'idée de doucher ton enthousiasme, Surielle, mais, cette fresque ne raconte-t-elle pas le passé ?

— Regarde l'arrière-plan plus attentivement, intervint Shaniel.

L'air grave de sa sœur était suffisamment rare pour qu'il se concentre. Il n'y avait rien d'autre pourtant que des points et des cercles, derrière les silhouettes en premier plan. Jusqu'à ce qu'il comprenne. Ses doigts vinrent toucher la pierre, froide et lisse. Les neuf orbites du système solaire de l'Empire. Par Orssanc, cela signifiait-il que leurs deux nations aient effectivement une même origine ?

— L'Éveillé se trouverait en territoire impérial ? C'est une plaisanterie ?

— S'il est lié à Orssanc, c'est plutôt logique, non ? répondit Taka en haussant les épaules.

Rayad ravala une réplique cinglante. Manifestement, personne ici ne semblait prendre leur situation au sérieux. Peut-être Alistair avait-il raison. Il avait cherché à se montrer accommodant, peu désireux de mettre à mal leur alliance fragile... que pouvait-il faire d'autre, après tout ? Les menacer ? Alors qu'il était coincé ici, alors que la Barrière protégeait la Fédération de toute attaque physique ?

Non, il n'était pas en position d'exiger quoi que ce soit.

Une main se posa sur son épaule.

— Ça va ? s'enquit Surielle.

— J'ai l'impression de tourner en rond, marmonna-t-il.

— Remontons prendre l'air, suggéra Shaniel. Ça doit être l'heure de manger, non ? Autant profiter du soleil.

La princesse avait remarqué l'air sombre de son frère. Rayad prenait son rôle très à cœur, or la maitrise des évènements lui glissait entre les doigts et la patience n'était pas son fort.

Ils remontèrent à l'air libre, plissèrent les yeux sous l'assaut des rayons du soleil, s'installèrent à même le sol poussiéreux avant de déballer leur repas. La matinée avait filé plus vite qu'ils ne le prévoyaient. Un faucon piqua sur eux, avant de se poser près de Taka. La jeune femme lui proposa quelques lanières de jambon qu'il engloutit.

— Ton Compagnon ? s'enquit Shaniel avec curiosité.

Taka acquiesça.

— N'est-ce pas un peu... bizarre, de savoir que ta vie est liée à la sienne ? questionna Rayad.

— Nous mourrons tous un jour ou l'autre, répondit Taka. Le lien unit nos forces. Je vois mieux, il profite de ma force. Et grâce au Wild, nous communiquons.

— Pourquoi n'êtes-vous pas tous liés, du coup ? demanda Shaniel. Est-ce réservé aux seuls Mecers ?

— Non, du tout. C'est juste que notre formation nous prépare davantage. Se lier implique de partager totalement son esprit. Toutes tes peurs, toutes tes hontes, tous tes secrets, sont mis à nus. La plupart des gens ne le supportent pas. Et certains Envoyés non plus, d'ailleurs.

— Ils sont alors exclus des Mecers ?

— Non. Ils en perdent l'esprit. Ils ne reviennent pas de la Forêt de Jade.

Shaniel frissonna, coula un regard à Grenat, couché non loin de là. Nombre de fois elle avait souhaité pouvoir lire dans ses pensées ; le prix à payer lui paraissait disproportionné. Elle adorait Grenat, ses yeux rouges si semblables aux siens, le masque noir qui lui donnait autant de prestance que son maquillage, ses sifflements brefs qui trahissaient son excitation.

— Je ne pourrais pas, je crois.

Étrangement, Taka sourit.

— Je ne peux pas t'en vouloir. Tu sembles bien plus consciente des risques que les jeunes de ton âge, qui ne sont qu'enthousiasme. Les Mecers sont une unité d'élite, et notre lien fait notre force et notre différence.

— Es-tu sûre qu'il s'agissait bien de l'Éveillé, Surielle ? intervint Rayad.

Perdue dans ses pensées, la Massilienne releva la tête.

— Certaine. La plume tatouée sur son cou, comme a dit E... comme il a dit. Et puis, la scène était certes abimée, mais sa tête était inclinée, en signe de respect, ou de soumission, je ne saurais te dire, mais je suis prête à parier que les deux mains posées sur lui appartiennent à Orssanc.

— Nous pouvons retourner voir, si tu le souhaites, proposa Shaniel. J'ai fait un rapide croquis, si tu souhaites l'étudier en détail.

— Je crains que ça ne nous avance pas à grand-chose, soupira Rayad. Nous ne pouvons toujours pas rentrer chez nous.

— Pensais-tu que l'Éveillé te ramènerait dans l'Empire en claquant des doigts ? s'étonna Taka.

— Pourquoi pas ? C'est la question que j'ai posée à la Prêtresse, après tout.

L'Émissaire se leva.

— Alors rentrons. Mes parents auront peut-être une solution à vous proposer.

Rayad ravala ses paroles. Si la Souveraine et son époux n'avaient rien pu faire - alors même qu'ils étaient liés à des phénix ! - il doutait qu'un Djicam le puisse.

— Et peut-être qu'Alistair est réveillé, ajouta Shaniel. Il trouvera peut-être un détail qui nous aurait échappé.



L'héritage des phénixWhere stories live. Discover now