85. Crever tout seul

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L'attente était ce qu'il y avait de pire. Les gendarmes nous observaient, nous observions les gendarmes. Personne ne savait quoi faire. Les autorités se promenaient dans la ville comme des touristes. Gina les suspectaient d'évaluer la ville et sa densité de population pour être en mesure de choisir la bonne méthode pour nous éliminer. L'après-midi se passa sans incident mais une fois en soirée, les troubles débutèrent. De notre sous-sol, nous pouvions entendre des cris en provenance de la rue et des bruits de tirs. Après ce qui me sembla une éternité, on entendit des membres des forces de l'ordre rentrer dans le dépanneur, bousculant les étagères, éventrant la caisse.

- On fiche le camp tout de suite! chuchotai-je à l'intention de mes coéquipiers. On rejoint les autres dans la rue.

- Ils vont nous attraper de toute façon, restons ici, s'opposa Jacques.

J'obtempérai. Nous pouvions entendre les gendarmes d'ici.

- T'as l'essence?

- Ouais, j'ai aussi le briquet.

- Tu sais ce que tu as à faire. Brûle ce taudis, les non-conformes ne doivent plus posséder de provisions. Ils sont plus de trois mille, on ne pourra jamais tous les arrêter.

- On n'a qu'à les tuer! De toute façon, il n'y a presque plus de place dans les prisons.

- Attendez, vous deux, il n'y aurait pas la fille du patron ici?

Un court silence.

- Et puis, quelle importance? Faites donc ce que vous avez à faire, vous parlez tellement fort qu'elle a dû s'enfuir à l'heure qu'il est.

La conversation s'arrêta là, laissant place à des bruits de pas s'activant dans le dépanneur. Je me retournai de nouveau vers Jacques.

- Dépêchez-vous, on va littéralement recevoir les flammes de l'enfer sur la tête!

Heureusement, je chuchotais toujours, parce que le regard que me jetèrent les quatre autres signifiait clairement qu'ils ne voulaient aller nulle part. Exaspérée, je me levai d'un bond du sofa, juste au moment où je sentis une odeur de bois calciné dans l'air. Les yeux ne tardèrent pas à me piquer.

- Je ne sais pas pour vous mais je tiens à ce que ma mort serve à quelque chose. Crevez tout de suite, c'est tentant, mais elle n'expliquerait pas pourquoi j'ai sacrifié, abandonné et perdu tant de choses pour devenir chrétienne. Je continuerais bien ce discours, ajoutai-je en toussant, mais je dois y aller.

Jesortis par l'entrée privée sans plus de cérémonie. 

L'EnlèvementWhere stories live. Discover now