104. Cécité pour les nuls

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M. Padopoulos vint me parler après ma convocation de la matinée. Il m'annonça qu'après le dîner, je pourrai voir Derek une nouvelle fois.

- Sauf que cette fois, on va te peigner les cheveux avant que tu rentres, ricana-t-il, preuve qu'on avait bien filmé notre dernier entretien.

J'arrivai la première. Cette fois-là, j'appréhendais cette rencontre. Avec mon dos en lambeaux et les yeux de mon époux faisant défaut, les gendarmes risquaient de moins rigoler en nous regardant. Je n'avais pas vu Cardin depuis qu'il était sorti avec Gina pour parler hors de ma cellule. Je me souciais de ce qui avait pu causer son absence aussi longtemps. Je n'eus pas le loisir d'y penser plus longtemps parce que la grille s'ouvrit de nouveau. Sur Derek.

Il était muni de béquilles. Je compris tout de suite leur utilité : Il pouvait à la fois s'en servir pour se déplacer et pour se guider à travers le dédale des corridors. Ses deux yeux étaient recouverts de gaze maintenue en place par du ruban adhésif. Je sifflai pour le guider vers le sofa. Il se dirigea lentement vers moi.

- J'aurai besoin d'aide pour m'asseoir, m'avoua Derek.

Je guidai sa main vers l'accoudoir tout en tenant ses béquilles. Il réussit à s'asseoir après un soupir à fendre l'âme. Décidément, son moral était au plus bas. Je lui pris la main, attendant qu'il me dise quelque chose. Pour l'encourager, je lui racontai ma matinée et la visite impromptue de Gina. Quand je mentionnai le nom de Jacob Cardin, Derek eut l'air de sortir d'une léthargie.

- Il me semblait l'avoir croisé une ou deux fois, mais il fixait toujours le sol quand il passait près de moi donc j'en avais conclu que ce n'était que moi qui hallucinais. Espérons que Gina aura le temps de le toucher avant qu'elle s'en aille.

Je hochai la tête, mais me souvenant soudain qu'il ne pouvait pas me voir, je murmurai :

- Oui, je l'espère aussi...

Il ne répondit pas. Il semblait si abattu, si coupé du reste du monde, si attristé par sa cécité... C'est alors que je remarquai à quel point il avait maigri, comme nous tous ici au fond. Étonnamment, ses biceps paraissaient encore aussi gros et fermes qu'avant. Je le lui fis remarquer.

- Le soir, je fais un petit entraînement avant d'aller me coucher. Des redressements assis et des pompes la plupart du temps. Pour avoir l'air le plus fort possible à l'extérieur puisque je le suis déjà à l'intérieur.

Il ne me convainquit pas. Un verset me vint à l'esprit.

- « Et il m'a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. C'est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses, pour Christ; car, quand je suis faible, c'est alors que je suis fort ». Tu te souviens de ce passage, pas vrai?

- 2 Corinthiens 12, oui.

- Tu n'as personne à impressionner, si ce n'est notre Seigneur. Compris?

L'EnlèvementWhere stories live. Discover now