94. Geneviève Anita, alias Gianita

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Geneviève Anita, ou Gianita pour faire plus court et joli, ma compagne de cellule, était une femme de 31 ans. Lors de l'Enlèvement, elle était en prison pour vol de banque. Deux mois plus tard, elle s'était faite gracier et une fois dehors elle a décidé de demeurer à Boston, où elle était incarcérée. Là-bas, sa voisine lui parla de l'Évangile et elle se convertit. Toutefois, elles durent fuir pour éviter le tatouage obligatoire. Elles repérèrent des îles inhabitées non loin de la ville et elles établirent un campement de fortune sur l'une d'elles. La voisine de Gianita ayant appris à chasser plus jeune, elle savait comment préparer de la viande d'oiseaux. Les deux femmes réussissaient à les tuer à l'aide de pierre et d'élastiques à cheveux pour les projeter. Après 5 semaines, par contre, des vacanciers les surprirent en train d'abattre un pigeon et coururent le rapporter au commissariat de police. Ces derniers se déplacèrent le jour même sur l'île et les arrêtèrent quand ils virent qu'elles n'avaient pas de tatouage obligatoire. La voisine mourut à peine quelques jours avant mon arrivée. Gianita supposait qu'ils l'avaient abattue, faute de place.

Ma compagne de cellule était d'une douceur surhumaine. Elle m'expliqua comment ses bourreaux l'avaient forcée à courir sur des charbons ardents parce qu'elle ne voulait pas renier sa foi. Gianita avait même fini par se mettre sur les mains pour donner quelques secondes de répit à ses pieds calcinés. Les gendarmes durent la transporter jusqu'à sa cellule tellement elle était incapable de marcher. Tout le monde l'aimait dans la prison, y compris les gendarmes, qui l'admiraient et on racontait même que certains avaient démissionné de leur travail après s'être entretenu avec elle. Je l'aimais beaucoup moi aussi.

Cela faisait 6 semaines que j'étais incarcérée là. Tous les détenus étaient des chrétiens ou des « non-conformes » comme les forces de l'ordre nous surnommaient. Contrairement à mes attentes, on ne m'envoya pas une seule fois dans la salle où les bourreaux se chargeaient de nous torturer jusqu'à notre évanouissement. Padopoulos me talonnait de près de ma cellule au réfectoire et de ce dernier à la salle commune, et une fois sortie, il m'empêchait de piper mot. On m'interdisait d'être près de Gina ou de Derek, et le langage des signes était interdit avec Bertrand. Heureusement, Gianita veillait sur moi comme une mère sur son enfant. Je lui avais conté bien vite mon histoire et je lui avais narré ma rencontre avec M. Ricardo, dont elle m'apprit le prénom : Néron. Il incarnait à merveille son homonyme. Elle m'avait alors soufflé ces mots :

- Comment te sens-tu par rapport à tout cela? Es-tu réellement affectée par cet épisode?

- Oui, évidemment, mais ils ne sont plus là pour me donner des explications alors je ne leur en veux pas. C'est simplement la rencontre avec mon père biologique que j'appréhende.

- Avec raison, mais efforce-toi de lui pardonner comme au reste. Au fait, pardonne à tout le monde ici. C'est tout ce qui te reste pour te différencier de ces brutes. Il n'y a que deux lettres de différence entre foi et folie. 

L'EnlèvementWhere stories live. Discover now