Chapitre 5

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Hope et Ben retinrent leur souffle. L'esclave fouillait chaque recoin, chaque arbre pour espérer les retrouver. Il semblait si résistant que Hope pensait qu'une flèche ne parviendrait pas à le transpercer. De toute manière, elle n'osait pas tirer sur un être humain et risquer de le tuer. Elle n'avait ôté la vie qu'à des animaux, et cela seulement dans le but de se nourrir. Tuer un être humain la répugnait. Elle prit tout de même le couteau attaché à sa cheville et se prépara à se défendre.

Ben ne cherchait même plus à cacher son inquiétude. Ce qu'il essayait de cacher, au contraire, était sa frustration. Il n'était armé que d'un petit couteau de cuisine et, contrairement à Hope, il ne savait pas se battre. Dans cette situation, c'était son amie qui était en train de le protéger et non le contraire. Il regarda les alentours. Il n'y avait que des arbres à perte de vue. Il n'aurait pas été dur de fuir, mais Hope n'abandonnerait jamais Pierre. S'il ne voulait pas être celui à protéger, il devait agir au plus vite. Le temps qu'ils étaient en train de perdre ne les aiderait sûrement pas.

-Hope, je ferai diversion en attirant l'esclave plus loin. Toi, tu t'occupes du marchand et de libérer les prisonniers. Le marchand doit avoir la clé sur lui.

-Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je ferai diversion. Ce n'est pas le moment de jouer au héros ! Tu sais à peine tenir un couteau dans les mains, tu n'as aucune chance. C'est moi qui ferai diversion. Le marchand est tout grassouillet, tu le battras à coup sûr.

-Tu ne sais rien de ma force. Je ne te laisserai pas te sacrifier pour défendre ton amour propre. Et puis, tu ne sais pas te servir d'un couteau, tu es une archère toi !

-Je t'ai entraîné là-dedans, c'est à moi de nous tirer de là.

Hope ne lui laissa pas le temps de rétorquer. Elle prit une flèche et, alors que ses yeux s'allumaient à nouveau, elle visa la jambe de l'esclave. Il ne put rien faire et la flèche s'enfonça dans sa chair. Il poussa un cri animal, mais laissa la flèche où elle était alors qu'un filet de sang s'écoulait déjà de sa nouvelle plaie. Maintenant que la flèche était tirée, il savait d'où elle venait et où se trouvait son ennemi. Il prit la direction de l'arbre derrière lequel Ben et Hope étaient dissimulés, en marchant comme si de rien n'était. Hope essaya de viser son bras, mais lorsque la flèche s'approcha, il l'évita avec une facilité déconcertante. Alors, Hope n'hésita pas et elle sortit de sa cachette. Immédiatement, l'esclave fonça sur elle. Alors qu'il avait une hache aiguisée, Hope ne possédait qu'un poignard qu'elle avait un jour discrètement volé à Tom.

Les yeux de l'esclave s'allumèrent et devinrent plus noirs que jamais. Même s'il devait peser pas loin de cent cinquante kilogrammes, il ne fit plus un seul bruit et sa présence s'amoindrit considérablement. Il se déplaçait tel un félin qui chassait sa proie. Hope ne flancha pas, c'était trop tard maintenant. Sa décision était prise. Cependant elle devait, avant de l'affronter, l'éloigner. Elle se mit alors à courir au loin, suivi de près de son chasseur. Elle n'avait qu'une vingtaine de mètres d'avance et elle avait conscience qu'elle allait vite les perdre. En effet, l'esclave, malgré sa grande taille, avait aussi une rapidité étonnante, ce qui lui donnait le profil parfait de tueur. Seule l'adrénaline permettait à Hope de ne pas se faire rattraper trop vite.

Elle se trouvait à présent dans une zone de la forêt où elle n'était encore jamais allée et où les arbres étaient plus denses que jamais. Jugeant la distance suffisante et ne voulant pas s'épuiser, Hope s'arrêta. L'esclave en fit de même. Ils se fixèrent alors de leurs yeux pétillants et décidés à ne pas s'éteindre. Hope attaqua la première. Elle savait que son arme avait moins de portée et qu'elle devait s'approcher de son adversaire si elle voulait s'en sortir. Elle ne devait surtout pas être intimidée. L'esclave essaya de lui assener un coup, qu'elle évita. Elle était à présent à portée de son rival. Son arme fusa à toute vitesse, sans pour autant viser un quelconque point vital. Elle ne voulait pas tuer. Le poignard érafla le bras de son ennemi, qui ne grimaça même pas et qui essaya de lui donner un coup de poing avec son bras libre. Hope parvint à amoindrir le choc en parant avec le plat de sa lame, mais elle fut tout de même projetée à terre. Elle tomba et se tordit la cheville. Elle poussa un cri. Elle ne lâcha rien pour autant.

Ses mouvement accélérés par ses yeux, elle saisit son arc à tout vitesse et encorda une flèche, qu'elle tira sans même prendre la peine de viser. L'esclave l'évita à nouveau et il s'approcha d'elle. Hope tenta de se mettre debout, mais sa cheville eut du mal à la soutenir. Elle se leva tout de même et elle essaya de clopiner pour mettre de la distance entre elle et son opposant. C'était vain, elle le savait. Lorsqu'il s'approcha d'elle, elle le vit à peine arriver. Elle avait, pendant une infime seconde, oublié le don des yeux noirs et elle allait payer le prix fort en se laissant surprendre. Terrorisée, Hope en oublia sa peur de tuer et, esquivant par miracle un coup de hache, elle visa la nuque de l'esclave. Le poignard était trop rapide, il ne pouvait l'éviter. Il ne réfléchit pas et laissa son instinct agir : il arrêta le coup de sa main, qui fut transpercée par l'arme. Du sang gicla sur la visage de Hope, qui n'en tint pas rigueur. Son poignard, elle n'arrivait plus à le récupérer. Il s'était trop enfoncé dans la chair de son adversaire.

Lorsque celui-ci essaya de lui assener un coup fatal de sa hache, elle fut contrainte de lâcher son arme et de reculer. Elle s'appuya un peu trop sur sa cheville et poussa un cri. Il y avait des différences qu'elle n'arrivait pas à combler. L'esclave n'avait pas peur de tuer, ni de se blesser pour y parvenir. Il n'avait, en réalité, même plus peur de mourir. Il regarda d'ailleurs sa main gauche percée, indifférent à une telle blessure. Il avait aussi de l'entraînement et il semblait presque insensible à la douleur. Pour voler son arme à Hope, il avait été prêt à sacrifier sa main. Il sourit alors de ses dents jaunies. Son visage aux traits durs laissait transparaître une intense folie. Il n'accordait plus aucune importance à la vie ou à la mort. Il avait beaucoup trop souffert pour un être humain et sa conscience avait préféré la folie à la réalité. Pierre pouvait devenir comme ça. Hope devait aller le sauver. Mais l'écart de niveau était trop important. Elle essaya alors de parler en faisant recourt à la diplomatie :

-Attends, te rends-tu compte de ce que tu es en train de faire ? Ce n'est pas nécessaire. Regarde, personne ne te retient, tu peux partir vers la liberté !

-Ombrebaie. Tuer pour Ombrebaie, tout faire pour Ombrebaie.

-Je t'en trouverai, j'en suis certaine, il suffit de chercher.

-Maître avoir Ombrebaie, maître me donner si toi tuer.

-Mais regarde-toi. Tu n'es plus qu'un animal. Tu sais à peine parler. Moi j'ai mieux qu'une Ombrebaie. J'ai un véritable avenir à te proposer !

-Moi vouloir Ombrebaie, que Ombrebaie. Ombrebaie meilleure chose.

-Je t'en donnerai plein si tu veux. Hein ? Tu comprends ? Ombrebaie, plein !

-Toi mentir, seul maître avoir Ombrebaie !

-Il est un menteur. Il veut que tu restes avec lui, c'est tout. Ça fait combien de temps que tu es un esclave, hein ? Il te traite comme un chien et l'Ombrebaie c'est ta friandise.

Mais l'esclave ne l'écoutait plus. Il ne semblait pas même comprendre. Il devait avoir été recueilli enfant, avant même d'apprendre à parler. Il avait été transformé en bête obéissante et l'idée de lui apprendre à communiquer normalement n'avait dû traverser l'esprit de personne. Hope pleura. Elle pleura pour la cruauté du monde, elle pleura pour le pauvre esclave et elle pleura pour sa fin imminente. Car elle n'était plus armée et l'esclave s'approchait d'elle à grands pas, les yeux luisants de noir et de folie.

La Rose NoireWhere stories live. Discover now