Chapitre 37

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         Jack regarda l'horizon par sa fenêtre. Le luxe des villes riches lui manquait. Il en avait assez du village misérable où il était contraint de rester. Mais il n'avait pas le choix. Lorsqu'il quitterait le Gouffre, il aurait entre les mains un pouvoir qu'aucun membre de sa famille n'avait jamais atteint. Sa famille... Il soupira. Il n'avait pas de celle-ci de très bons souvenirs. Son père, Victor Lancaster, n'avait pas fait de lui un homme remarquable. Loin de là. Il avait gâché sa vie.

Jack était né dans une famille noble, influente et respectée aux quatre coins du royaume. Sa mère avait perdu la vie en le mettant au monde et son père l'avait vite remplacée avec une autre. Il était le genre d'hommes qui n'aimaient qu'eux-mêmes ou presque. Sa nouvelle mère s'appelait Lise. Jack était un enfant non désiré par son père, il était un accident qui avait coûté la vie de sa mère, seule personne que son père avait véritablement aimée. Sa belle-mère était toujours triste et malheureuse et n'était aimé ni par son mari, ni par son beau-fils. Il n'y avait qu'une personne que Jack aimait et pour qui l'amour était réciproque. Sa sœur, Margarite. Elle avait cinq ans de plus que lui et elle l'emmenait partout avec elle. Elle était gentille, douce, belle et promise à un bel avenir.

Margarite, elle, était appréciée par son père. Il espérait renforcer le prestige de la famille avec un mariage arrangé. Sa sœur ne voulait cependant pas se marier. Jack et Margarite passèrent leur enfance à fuir la noblesse et l'influence toxique de leur famille. Ils pouvaient disparaître plusieurs jours de leur maison pour vagabonder dans les villes avoisinantes. Jack n'était heureux que lorsqu'il quittait la résidence familiale. Lorsqu'il y était, il était constamment jugé. Il n'était pas l'héritier de la famille, car la futur mari de Margarite le serait devenu, mais il était tout de même le deuxième dans la lignée d'héritage. Or, personne ne le pensait apte à prendre la tête de la famille Lancaster. Durant son enfance et sa jeunesse, il fut constamment battu, surtout par son père, qui, en sa présence, n'était satisfait que lorsqu'il le faisait souffrir.

Quelques années plus tard, Victor trouva un mari à sa fille. Margarite s'était alors mariée, à contrecœur. Les mois suivant son mariage, elle ne put rester avec son frère et tous deux en soufrèrent. Puis, un jour, elle était allée le voir, en pleurs, et elle lui avait demandé de la sauver. Son mari la battait et abusait d'elle et, maintenant qu'il allait être à la tête de la famille Lancaster, elle craignait qu'il ne finisse par la tuer. Jack était sorti de ses gonds. Le jour même, il s'arma d'un poignard et se dirigea vers le mari de sa sœur. Il l'assassina sauvagement et, lorsqu'on vint l'arrêter, il tua plusieurs hommes avant qu'on parvienne à contenir sa rage.

Dans la résidence Lancaster, on l'avait surnommé le Furieux ou encore le Monstre. Ce jour-là, Jack avait découvert qu'il était plus fort que les autres et que ce n'était pas à lui de s'incliner. Son père voulut l'exiler, content d'avoir enfin une excuse pour se débarrasser de lui. Margarite le tira d'affaire. Elle dit à son père que si le moindre mal était fait à son frère, elle se serait tuée et alors le seul héritier deviendrait le fils qu'il haïssait tant.

Alors son père décida de le faire rejoindre la milice, espérant qu'elle puisse maîtriser la rage qui était née en lui. Il ignorait qu'il était en grande partie fautif de cela, que toute la haine qu'il avait éprouvé pour son fils avait déteint sur lui. Avant de le laisser partir, il fouetta une dernière fois son fils, plus fort que jamais. Il voulait entendre encore une fois les pleurs de son fils. Mais Jack ne poussa pas un seul cri et ne versa pas une seule larme. Aujourd'hui encore, son dos était strié d'horribles cicatrices.

Lorsqu'il rejoint la milice, Jack fut invincible. Il monta en grade plus rapidement que quiconque et évolua à une vitesse ahurissante. Il n'eut, au début, aucune motivation. Sa force venait de sa haine, de sa rage pour autrui et pour toute personne. Il n'eut pas de pitié, de compassion ou d'amour pour le moindre individu. Et ce n'est qu'ainsi qu'il avait pu devenir le chef de la milice.

Son père mourut quelques années après son adhésion à la milice. Alors, il était déjà haut-gradé. Margarite l'avait invité à retourner à la maison et à quitter la milice. Il refusa son offre, mais vint tout de même la voir. Elle avait, cette fois, épousé un mari aimant, et avait eu un enfant avec lui. Elle était devenue une adulte responsable, respectée et sa vie était enviable. Avec la mort de son père, la famille Lancaster avait gagné de nouvelles valeurs et avait aboli la violence. C'est pourquoi Jack avait compris qu'un être incapable d'aimer n'avait plus sa place dans cette famille. Surtout qu'après ses traumatismes d'enfance, Jack avait commencé à éprouver une haine indicible envers la haute noblesse, qu'il souhaitait voir disparaître.

Avec le temps, sa colère avait diminué, surtout après la mort de son géniteur. Alors il consacra sa vie au royaume. Il voulait que son père, en Enfer, voit ce que son fils était devenu, malgré tout. Il voulait qu'il se retourne dans sa tombe. Il avait essayé de le détruire, pourtant il était devenu un homme important sans avoir besoin de passer par l'intermédiaire de sa famille. Il était célèbre car il était le chef de la milice et non parce qu'il était un Lancaster. Il finit par choisir sa motivation : il décida qu'il serait devenu un héros, symbole humain de la justice dans le royaume, acclamé par les foules.

À présent, il avait trouvé une personne aux yeux violets. Et cette personne lui ouvrirait beaucoup de portes. Cette personne le rendrait encore plus puissant et, alors, son père ne reposerait jamais en paix.

Alors qu'il regardait par la fenêtre, Jack vit trois petits enfants courir joyeusement avec des parchemins à la main. Le Gouffre était en train de changer, il le voyait bien. Il allait certes gagner, il en était certain, mais des marques du passage de celle qu'il recherchait demeurerait toutefois. Il se concentra à nouveau sur les enfants. Ils riaient et souriaient. Or, vu leur statut, des moments de joie comme celui qu'ils vivaient, ils ne devaient pas en avoir beaucoup. Était-il le méchant, à vouloir leur ôter l'origine de leurs sourires, cette Violette qui les avait tirés de l'obscurité ? Était-ce cela, le justice à laquelle il aspirait ? S'il faisait souffrir des gens, pourrait-il se considérer comme un héros ? Il soupira, ce n'était jamais simple de prendre des décisions.

Il se ressaisit. Il était le chef de la milice. Faire régner l'ordre et la discipline était son devoir. Punir les criminels aussi. Si, en plus, il pouvait renforcer son prestige, ce serait l'idéal. Il sourit. Il réfléchissait trop. Pour devenir un héros, il n'avait d'autre choix que de devenir exemplaire et cela ne serait possible que s'il punissait les coupables. Il fit taire la petite voix dans sa tête qui lui disait que la fautive n'était pas cette fille, mais la milice qui la pourchassait. 

La Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant