Chapitre 10

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Chez elle, Hope n'eut qu'une idée en tête, celle d'aider sa mère. Elle arriva à la maison à l'instant même où son père partait pour le travail. Elle le salua et lui souhaita une bonne journée, en espérant qu'une preuve d'amour suffirait à son père pour oublier ne serait-ce qu'une seconde les nombreuses difficultés auxquelles il devrait faire face. Lorsqu'elle entra, elle se dirigea tout de suite chez sa mère, Valérie. Celle-ci était allongée sur son lit et avait les yeux fermés. Elle entendit sa fille entrer :

-Chérie, tu es la maison ? Ça va, je ne crois pas t'avoir vu rentrer hier soir, il s'est passé quelque chose ? Je me suis inquiétée.

Hope se renfrogna : elle avait, une fois de plus, inquiétée sa mère. Pourtant, elle s'était jurée, lorsque celle-ci avait attrapé la fièvre d'ébène, de ne jamais lui causer de soucis, pour qu'elle puisse se concentrer sur sa guérison.

La fièvre d'ébène était une maladie assez commune. On ignorait encore comment elle se transmettait, mais de nombreux médecins avaient conclu que cette fièvre naissait avec nous et finissait par se déclencher un jour ou l'autre. Des prêtres, au contraire, pensaient qu'il s'agissait d'une maladie envoyée par les dieux pour punir les pêcheurs. Cette maladie entraînait, au début, une forte fièvre qui revenait régulièrement. Elle entraînait des douleurs articulaires et, dans les cas les plus graves, des saignements internes. Enfin, et c'est ce qui lui valut son nom, la fièvre d'ébène entraînait l'apparition progressive de taches noires sur tout le corps. Les zones qui devenaient noires perdaient toute sensibilité. La mort finissait tôt ou tard par arriver si la maladie n'était pas correctement soignée. Cette mort lente et douloureuse faisait de la fièvre d'ébène la maladie la plus redoutée de tout Avaloria.

-Maman, je t'ai trouvé quelque chose qui devrait t'apaiser un peu. Tu veux bien le prendre pour moi.

Sa mère la regarda de ses yeux gris qui avaient perdu tout de leur couleur d'antan. Hope ravala un sanglot lorsqu'elle regarda Valérie plus attentivement. Les premières petites taches noires apparaissaient sur son visage et les mains qu'elle tendit pour prendre le remède en était recouvertes. Bien qu'elle ne soit pas vieille, ses cheveux avaient perdu leur teinte blonde pour devenir gris. Sous ses yeux, on pouvait sans peine apercevoir de gros cernes et des rides striaient son visage. Valérie prit le remède et le porta à sa bouche, sans même prendre la peine de voir de quoi il s'agissait. Elle avait confiance en sa fille. Lorsqu'elle finit de boire, elle ferma lentement ses yeux.

-Chérie, je suis un peu fatiguée. Je vais me reposer, demain je vais organiser une traversée avec ton père, il faut que je sois en forme.

Hope ne lui répondit même pas, car elle vit rapidement que sa mère s'était déjà endormie. Elle sourit alors qu'une petite larme coulait sur sa joue. Sa mère était mourante, mais elle n'avait jamais pensé arrêter la traversée. Elle en arrivait à se demander si ce n'était pour elle qu'elle avait tenu bon toutes ces années. Car cela faisait déjà trois ans que sa maladie s'était déclenchée.

Plus tard, Hope décida de rendre visite à Pierre et à sa famille. Elle ne pouvait décrire la reconnaissance d'Agnès et des autres tant elle était immesurable. Elle refusa tout présent, aussi petit soit-il, car elle avait conscience de combien le moindre sacrifice coûtait à cette famille. Cependant, toute cette générosité qu'on lui envoyait la rendait heureuse. Si venir en aide aux autres apportaient une telle satisfaction, alors elle pouvait peut-être continuer, encore et encore. Vivre ainsi. Ses problèmes ne s'étaient certes pas dissipés, mais Hope eut de l'espoir pour l'avenir. Peut-être que c'était cela que son futur lui réservait. Peut-être qu'en continuant à faire le bien, elle recevrait encore plus d'amour.

Hope rejoignit Ben un peu plus tard en cette journée déjà bien entamée. Il semblait avoir eu, lui aussi, son lot de remerciements. Elle réfléchit un instant et se rendit compte qu'elle n'avait pas été très aimable la veille, dans la forêt. Sur le coup de la peur, elle avait été bien trop directe. Elle voulut donc s'excuser.

-Écoute, Ben, je suis désolée pour hier. Je ne pensais pas vraiment...

-Je pense qu'au contraire, tu le pensais. Mais je suis heureux que tu me l'aies dit. Ça me motive à devenir plus fort, pour être à ta hauteur. J'ai de la force, il ne me reste plus qu'à savoir m'en servir.

-Oui, mais moi, je t'aime comme tu es, hier j'avais juste peur, j'ai parlé trop vite.

Ben rougit. Hope en profita pour l'observer. Il avait une chevelure assez spectaculaire. Elle avait une couleur rouge flamboyante, mais était en bataille. Il ne coiffait presque jamais ses cheveux, préférant leur laisser leur liberté. Ses yeux vert émeraude étaient captivants. Ils étaient vifs et étincelants, comme deux joyeux précieux encadrés par de longs cils sombres. Ils possédaient une lueur d'intelligence, mais aussi d'une curiosité incontrôlable, qui donnait à Ben le désir de connaître le monde entier. Enfin, son visage était, la plupart du temps, rayonnant. Il avait des traits fin et harmonieux, un nez droit et une mâchoire délicate. Ses pommettes légèrement rosées ajoutaient une touche de fraîcheur et de douceur à son teint clair et lumineux. Ben avait seize ans. Il était jeune, beau et heureux. Il avait tout ce qu'un habitant du Gouffre pouvait désirer. Pourtant, tout ce qu'il voulait c'était rester avec Hope. Il en ignorait les raisons. Mais à l'instant où il l'avait vue, il avait décidé de passer le restant de ces jours avec elle.

Avant de rencontrer Hope, Ben vivait isolé. Au Gouffre, les bourgeois étaient moins qu'une vingtaine, si l'on ne comptait pas ceux qui vivaient dans le manoir des Ravenshade. Ben n'avait jamais réussi à se trouver des compagnons de jeux. Il était resté seul, à vendre des fruits et des légumes avec ses parents alors qu'il n'avait que cinq ans. Puis il avait vu Hope. Elle n'avait que quatre ans à l'époque. Elle jouait à la corde à sauter toute seule, comme lui. Elle l'avait aperçu et lui, il s'était approché, désirant de la compagnie. Elle n'avait même pas regardé ses yeux, elle lui avait juste tendu la corde et elle lui avait demandé s'il voulait jouer. Ils étaient restés comme cela longtemps, rien que tous les deux, sans accorder la moindre importance au fait que leurs yeux n'avaient pas la même couleur. Puis Gabriel était arrivé pour faire rentrer Hope et elle, tout sourire, avait proposé à Ben si le lendemain il voulait jouer à nouveau avec elle. Ils se retrouvèrent alors, toujours au même endroit, toujours avec la même corde et ils ne se quittèrent plus. D'un œil paternel, Gabriel les avait surveillés et il avait protégé Hope des dangers de la milice. Parfois, il s'était même uni à eux pour jouer. Il avait été heureux de constater que les valeurs d'égalité qu'il chérissait s'implantaient petit à petit en sa petite sœur, mais aussi qu'elle avait trouvé un ami qui partageait ses mêmes idées.

Hope marchait avec Ben depuis peu lorsqu'elle l'aperçut. En train de marcher à vive allure, l'homme vêtu de noir se dirigeait dans leur direction opposée. Cette fois-ci, les deux jeunes décidèrent de le suivre sans prendre le moindre risque de se faire repérer. S'ils voulaient que cette histoire devienne plus claire, ils devraient y mettre du leur. Ils suivirent l'homme pendant plusieurs minutes, jusqu'à arriver à la mairie du Gouffre.

La mairie du Gouffre se situait prêt de la sortie du village, où les constructions étaient plus récentes. Celle-ci se dressait humblement, mais fièrement et était un parfait exemple des ressources limitées du village. Construite en pierre et en bois, elle était petite et modeste et elle avait une structure simple et rustique. Les murs, défraîchis ici et là, témoignaient du manque d'entretien, et donc de personnel, des lieux. L'entrée de la mairie n'était qu'une simple porte en bois usé, sans le moindre ornement ou détail décoratif. Malgré son apparence misérable, la mairie n'en restait pas moins un endroit important où le maire, Martin Petit, faisait de son mieux avec son autorité limitée pour prendre des décisions qui faciliteraient la vie au Gouffre. Inutile de dire que, avec les maigres moyens à sa disposition, ça n'avait rien d'une tâche aisée.

L'homme en noir n'entra pas dans la mairie, il la contourna au contraire. Derrière le bâtiment quelqu'un l'attendait. Pas n'importe qui d'ailleurs. L'homme vêtu de noir parlait avec le maire, Martin Petit, qui semblait l'écouter attentivement.  

La Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant