Chapitre 32

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Le reste de la semaine se déroula sans encombre. Après la mort de Tulipe, Hope avait eu le droit à un arrêt temporaire de ses entraînements. Elle ne s'était pas reposée pour autant. Seule, cachée, elle travaillait sa technique jour après jour. Puis, devant un miroir, elle essayait d'allumer ses yeux violets. Elle ignorait encore comment s'en servir et n'en était capable que lorsqu'elle était en danger, mais elle allait apprendre. Elle avait confiance en elle.

Ces jours-ci, Ben s'était senti seul. Hope n'était pas beaucoup sortie de chez elle et n'était presque pas allé le voir. Sans son amie et recherché, il n'osait, lui non plus, se balader dans le Gouffre. De plus, la Rose Noire ne donnait aucun signe de vie. Il ne savait que faire. Lorsqu'il entendit quelqu'un toquer à sa porte, il en éprouva un profond soulagement. Enfin, quelque chose était venu détruire sa routine monotone.

-Aujourd'hui, on prend du temps pour nous et on fait ce qu'on veut !

Ben observa Hope, qui le regardait avec un regard joyeux. Il lui sourit et essaya de cacher sa tristesse. L'éclat dans les yeux de Hope avait disparu. Il l'avait déjà fait après l'incendie, mais ça avait empiré avec la mort de Tulipe. Un soupçon de tristesse se mêlait continuellement à son regard. Il souhaita de toute son âme que Hope redevienne comme avant.

-Hope, est-ce que tu vas bien ? Ce n'est pas facile, ces derniers temps et...

-Ne t'en fais pas pour moi, je suis en pleine forme.

Elle lui sourit, mas son sourire était faux. Comme tout le reste d'ailleurs. Elle était fatiguée et plus rien ne l'amusait. Récemment, elle avait commencé à détester la Rose Noire. Elle ne lui apportait que des malheurs. Mais, lorsqu'elle allait voir Pierre ou Arthur, elle se disait qu'elle avait fait le bon choix. Elle souhaitait que sa génération soit la dernière à souffrir, qu'une fois sa vie terminée, elle ait laissé un royaume juste à ceux restés après elle. C'était ce que son frère avait essayé. Elle serra son pendentif. Elle l'avait depuis si longtemps qu'elle arrivait à oublier qu'elle le portait. Mais, à présent, le toucher lui apportait le réconfort dont elle avait besoin.

Elle riva à nouveau son attention sur Ben. Il avait entièrement guéri, à présent, mais elle se demanda pour la première fois s'il avait gardé des séquelles de ce qu'il avait vécu à cause d'elle. Ces temps-ci, elle avait complètement délaissé son ami et elle s'était seulement concentrée sur ses propres souffrances.

-Ben, à trois, on se dit si on va réellement bien, d'accord ? Un, deux, trois...

-Non

-Non

Des larmes envahirent les yeux de Hope. Non, ils n'allaient pas bien, mais c'était évident. À leur âge, ils avaient déjà vécu trop de souffrance. Le monde dont elle rêvait ne lui semblait même plus envisageable. Mais abandonner la Rose Noire serait laissé s'échapper son dernier espoir.

Ben aussi était au bord des larmes. Ils savaient déjà que Hope ne se sentait pas bien, mais à présent qu'elle le disait à voix haute, c'était encore pire. Il s'approcha d'elle et l'enlaça. Il profita de la chaleur de son corps contre le sien et laissa libre cours à ses larmes. Mais l'embrassade fut de courte durée, car Hope s'extirpa de ses bras en retenant un petit cri de douleur. Il s'inquiéta immédiatement pour elle :

-Qu'est-ce que tu as ? Tu as mal où ?

-J'ai mal partout Ben. Aux bras, aux jambes, à la tête et au cœur. Mais je dois continuer à me battre, parce que sinon un autre prendra ma place et souffrira comme j'ai souffert. Je ne veux pas que ça arrive. Je veux devenir le Pissenlit parfait pour être la dernière à avoir mal. Je veux que ma mère ait des soins adaptés, que mon père puisse se reposer, que Pierre puisse vivre sans crainte et encore qu'Arthur puisse sortir de la forêt. Mais ça ne va pas arriver tout seul. Quelqu'un doit se sacrifier et même si j'ai mal, je dois me tenir debout.

Hope tomba à genoux, en larmes, sous les yeux attristés de son ami. Ben ne l'avait jamais vue ainsi. Il se sentait plus qu'obligé de faire quelque chose. Il la prit dans ses bras, et elle ne protesta même pas. Il l'emmena alors chez Lavande. Lorsqu'il les vit entrer, le visage du vieil homme se rida. Ben ne lui laissa pas le temps de poser de questions :

-Monsieur, aidez-là, s'il-vous plaît. Elle ne tiendra jamais, sinon.

Lavande ne se le fit pas dire deux fois. Il ausculta Hope et la soigna du mieux qu'il le put. Puis il lui donna une tisane et elle finit par s'endormir. Il se rendit ensuite chez Ben :

-J'ai fait ce que j'ai pu pour les blessures physique, mais sa plus grande plaie est dans son cœur. Elle aura besoin de toi.

-Mais au moins, elle va guérir ?

-Elle est forte, ça devrait aller. Ne la laisse pas plonger dans le désespoir. La mort de Tulipe, de ce que l'on m'a dit, a été un évènement traumatisant. Elle en gardera toujours une marque. Mais la Rose Noire croit dur comme fer que les difficultés rendent plus forts. Hope se relèvera encore meilleure qu'avant, mais elle aura besoin d'aide pour se mettre debout.

Hope se réveilla un peu plus tard, perdue. Alors que les souvenirs resurgissaient peu à peu, elle eut envie de pleureur à nouveau, mais elle ne laissa pas les larmes sortir. Lavande vint alors vers elle :

-Sois honnête avec moi, je suis médecin. Comment t'es-tu blessée ?

-Je m'entraîne beaucoup, dernièrement.

-Alors arrête.

-Je ne peux pas, je dois devenir plus forte ou je ne pourrai jamais protéger ceux que j'aime.

-Tu crois que c'est comme ça que ça marche ? Alors laisse-moi te raconter l'histoire de Criss, tu comprendras. Il est né dans une famille très pauvre et le rôle des hommes de celle-ci était de chercher de la nourriture dans la forêt, notamment de la viande. Or, enfant, Criss était très faible. Un jours, son père l'envoya dans la forêt pour le renforcer, pour qu'il devienne plus fort. Il tomba, par malchance, nez à nez avec un ours. Il fuit, trébucha et se prépara à mourir. Mais son père, qui l'avait suivi pendant toute son aventure, s'interposa alors et combattit, comme il le put, l'ours. Criss se sauva, mais son père ne fut pas aussi chanceux et il mourut après trois jours d'agonie à cause d'une infection issue d'une griffure de l'ours. Pendant ce temps, Criss lui demanda pardon pour sa propre faiblesse, mais son père lui offrit de bien douces dernières paroles : « Je me suis trompé, tu es un gentil garçon et ça te rend bien plus fort que moi ». Criss n'a jamais compris et il a passé toute sa vie à s'entraînait sans relâche pour devenir puissant. Mais, à la fin, une personne a été sauvée grâce à sa gentillesse et non grâce à ses muscles. Arthur n'a pas eu la vie sauve parce que Criss était l'un des hommes les plus forts du Gouffre. Il l'a eue parce que Criss est l'un des hommes les plus doux, altruistes et généreux du village. Alors sache que tu peux très bien devenir un excellent Pissenlit sans être la personne la plus stoïque du royaume. Ce n'est pas ce qu'on recherche. Si tu as été choisie, c'est pour celle que tu étais avant, pas pour celle que tu essayes de devenir. Il y a sûrement une force enfouie en toi qui a une bien plus grande valeur que de la force brute. Trouve-la et découvre pourquoi tu as été choisie.

-Oui, mais Tulipe est mort parce que j'étais faible.

-Je t'assure qu'il ne t'en voudra pas. Il n'avait pas envie de vivre et il n'avait que très peu d'attaches à la vie.

-Il est mort en versant une larme.

-Alors tu lui as fait le plus beau cadeau qui soit. Tu lui as fait ressentir quelque chose avant sa mort. Or, ce sont nos émotions qui font de nous des hommes. Hope, grâce à toi Tulipe est mort en tant qu'être humain.

Le soleil s'apprêtait à se coucher lorsque Hope et Ben sortirent enfin du cabinet de Lavande. Tous deux se sentaient mieux. Lavande avait apaisé un tant soit peu l'âme de Hope et Ben était heureux de la savoir plus contente. La journée aurait pu être un succès. Ils auraient pu aller se coucher tranquilles, l'esprit soulagé. Mais ce n'est pas ce qui advint. Car Criss vint en courant vers eux, les larmes aux yeux.

-Hope, Ben, la milice a pris Arthur. 

La Rose NoireWhere stories live. Discover now