Chapitre 14

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            Monsieur Petit n'aimait pas son métier. S'il était devenu maire, c'était pour améliorer son réseau et son influence. Ce métier lui était très chronophage pour pas grand-chose. Il ne rentrait jamais chez lui satisfait d'avoir apporté quelque chose au Gouffre. Un endroit aussi misérable avait besoin d'aides extérieures pour remonter la pente. Il n'en recevait pas et la situation n'avait pas changé depuis le début de son mandat, commencé il y a maintenant deux ans. Ce métier était aussi une couverture pour lui, peu se douteraient qu'un maire était en réalité à la tête d'une organisation illégale voulant organiser un changement.

Il fut plus que surpris lorsque, en milieu d'après-midi et à l'entrée de son bureau, se présentèrent deux adolescents. Ben et Hope, il les connaissait bien. La raison de leur venue l'intriguait cependant :

-Savez-vous qu'il faut toquer avant d'entrer et qu'il faut demander la permission ? On n'entre pas dans le bureau du maire comme si de rien n'était. Mais bon, puisque vous êtes ici, que puis-je faire pour vous ?

-Monsieur, fermez donc votre bureau, on a deux ou trois choses à se dire.

Ben et Hope n'y étaient pas allés par quatre chemins. Ne pas trop réfléchir portait parfois ses fruits. Là, par exemple, ils étaient assis derrière le bureau du maire, prêts à passer à l'interrogatoire méticuleusement préparé sur le chemin.

-Monsieur Petit, il se trouve que nous possédons des preuves irréfutables sur votre appartenance à une organisation clandestine, nommée, si je ne me trompe, la Rose Noire. Pour ne pas perdre de temps et pouvoir venir à l'essentiel, je vous demanderais de ne pas poser de questions sur nos sources. Nous avons les cartes en main, car, si vous ne coopérez pas, la milice se fera un plaisir de vous arrêter pour vos activités.

-C'est du chantage que vous me faites, j'ignore si vous vous rendez compte de la gravité de vos actes. Je pourrais également vous dénoncer.

-Et vous pensez réellement que ça nous fait peur ? Monsieur, je suis une Exclue qui chasse illégalement dans la forêt et qui vole la milice. Si je me fais attraper, ma sentence sera terrible, quoi qu'il arrive.

Alors que Hope avait décidé qu'elle laisserait la parole à Ben, elle n'avait pas tenu deux minutes avant de parler. Elle regarda son ami d'un air désolé et essaya de se taire, alors qu'il parlait à nouveau :

-Ce que nous essayons de vous faire comprendre, c'est que vous avez bien plus à perdre que nous. Votre situation est loin d'être souhaitable, alors je vous conseille de ne pas être trop désagréable.

-Très bien, puisque vous semblez ne pas me laisser le choix, je vous laisse parler : alors, que voulez-vous me demandez ? Vous semblez déjà tout savoir.

-Vous êtes à la tête de la Rose Noire, si j'ai tout compris. Est-ce que vos motivations ont changé depuis le décès de votre femme ?

-Pas le moins du monde. Nous voulons toujours la même chose.

-Quand agirez-vous ?

-Nous avons le temps, nous agirons lorsque nous serons prêts. Trop de précipitations entraînent des échecs.

-Je vois. Vos membres ont-ils des obligations ?

-Quand il sera l'heure de se battre, le choix de s'unir ou non à la bataille reviendra à chaque personne.

-Avez-vous un plan ?

-Nous en avons un, mais il est trop tôt pour vous le révéler. Me menacer n'y changera rien.

Hope s'impatientait. Tout cela ne l'intéressait pas. Il n'y avait qu'une question qui la bloquait et qui lui empêchais de faire un choix :

-Monsieur, pensez-vous que mon frère aurait accepté de me voir dans vos rangs ?

-Si je vous disais oui, je vous mentirais. Cependant je sais une chose : il voulait faire de ce royaume un endroit où vous seriez libre de vivre comme vous l'entendez. Je ne pense pas qu'il vous en aurait empêché. J'ai l'impression qu'il est pour vous une source d'hésitation et de doute, or, il voulait être une personne inspirante, que vous n'hésiteriez pas à suivre. Il faut cesser de penser à lui, c'est votre décision qui est importante. Il a vécu sa vie comme il l'entendait, je ne vois pas pourquoi vous ne devriez pas en faire de même. L'amour pardonne tout. Et, s'il y a une chose que je peux vous assurer, c'est qu'il vous aimait.

Hope réfléchit. Elle allait pouvoir suivre les traces de son frère. Elle allait pouvoir découvrir le monde dans lequel il vivait. Elle allait connaître cette partie de lui qu'il lui avait toujours cachée. Elle pouvait peut-être essayer. Et puis, elle avait réellement envie de vivre libre et de rejoindre cette organisation, pour finir ce que son frère avait commencé. Elle ne le décevrait pas. Si elle réussissait à conclure son travail, il en serait orgueilleux. « Grand-frère, aujourd'hui, je te désobéis. C'est à moi de te faire une promesse, je ne mourrai pas et je changerai le monde. J'espère que là-haut tu en seras fier ».

-Monsieur le maire, j'en suis. Mais je vous conseille de ne pas trahir ma confiance, car alors vous aurez une ennemie redoutable.

-Deux ennemis, monsieur. Vous n'avez peut-être pas besoin de moi, mais si Hope vous rejoint, j'en ferai de même.

-J'aimerais ajouter que je suis vraiment désolée pour votre femme. Elle devait être remarquable, c'est triste qu'elle soit partie si tôt.

-Vanessa est partie, nous avons fait son deuil, nous avons pleuré. Maintenant, il est temps d'agir.

Ce fut ainsi que l'aventure de Hope débuta, mais ce qu'elle ignorait encore c'était que, pas loin, le danger se préparait et n'allait pas tarder à se révéler.

Le quartier général de la milice était toujours noir de monde. Il se trouvait dans une ville prêt de la capitale, pour permettre à toute classe sociale de s'y rendre. La capitale était en effet réservée à la noblesse.

Assis à son bureau, Jack s'apprêtait à accueillir les rapports du jour. Il reçut, comme à son habitude et à dix heures tapantes, les différents rapports servis sur un plateau. Il les feuilleta et regarda les niveaux de danger. Niveau un, niveau un, niveau un... Il soupira, toujours la même routine. Le monde ne voulait-il pas se révolter un peu, qu'il puisse faire son travail ? Il s'attarda sur l'un des derniers. Niveau deux. Cela faisait plusieurs mois qu'il ne recevait un tel rapport. Il le lut rapidement :

2 avril, le Gouffre

Plusieurs criminels attrapés et vendus ont été aperçus après leur capture.

Cause d'évasion : inconnue

Témoin : le marchand, Archibald Gobelet, est porté disparu, des recherches sont en cours

Rapport des gardes Tom et Tim Devereux

Il était rare qu'un rapport soit si court. Si de prime abord il semblait inoffensif, il était en réalité très dangereux. Dans un pauvre village remplis d'habitants soumis et désespérés, une source d'espoir venait d'apparaître. Un sauveur qui avait permis à des esclaves d'échapper à leur destin venait de voir le jour. Qu'allaient-ils croire, là-bas ? Que l'on pouvait être pardonné de ses crimes? Jack appela son porte-parole. Dès qu'il arriva, il lui exprima les faits :

-Message à transmettre à toute la section six. Dîtes-leur de faire une excursion au Gouffre. Qu'elle dure aussi longtemps que nécessaire. Départ demain dès l'aube. Les consignes sont simples. Cherchez toute personne ayant enfreint, ne serait-ce qu'une fois, la lois et punissez-la sévèrement, tout est permis. Personne ne doit oublier que la justice, représentée par nous, la milice, punira les crimes et qu'à la fin, les pêcheurs ne se sauvent jamais. Il ne faudrait surtout pas que certains commencent à croire que nous nous sommes relâchés. 

La Rose NoireWhere stories live. Discover now