Chapitre 16

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Hope ferma les yeux, c'était la fin. Elle n'avait même pas le temps de réfléchir à sa vie et à ce qu'elle avait accompli. Elle se contenta d'attendre, encore et encore, que la mort arrive. Mais elle n'arriva pas.

Entre elle et l'ours s'interposa un petit garçon aux cheveux noir charbon. Il se tenait devant l'ours et faisait barrage pour les protéger. Il commença même à parler à la bête :

-Tout doux, sois gentil, hein ? Tu veux bien partir? Tu verras, tu trouveras à manger.

L'ours n'avait pas l'air ravi, mais il écouta le garçon et fit demi-tour. Alors, le petit garçon se tourna vers Hope. Ses yeux bruns scintillaient. Il sourit de toutes ses dents, enfin presque, il lui en manquait deux. Puis ses yeux cessèrent de briller et Hope resta bouche-bée : les yeux du petit garçon étaient différents : le gauche était gris alors que le droit était brun. Elle se concentra et se rendit compte qu'elle ressentait la même chose qu'avec Cédric. Il était un sang-mêlé, il était comme elle. Elle doutait de moins en moins des aveux de Cédric. Il était vrai qu'elle pouvait sentir un lien particulier.

-Moi, c'est Arthur. Si vous cherchez Criss, je peux vous accompagner. Il oublie souvent que les autres ne sont pas aussi forts que lui.

Et le petit garçon partit d'une marche rapide. Malgré la fatigue, Ben et Hope le suivirent tant bien que mal, tout en se questionnant intérieurement. Il avait dompté un ours comme si cela était normal. Pourtant, il n'était qu'un petit enfant. Et puis, que faisait-il en forêt ? Ils finirent par rejoindre Criss. Lorsqu'il vit Arthur, il se renfrogna.

-Arthur, qu'est-ce que je t'avais dit ?

-Mais...

-Il n'y a pas de mais qui tienne ! Tu ne te montres pas aux inconnus, un point c'est tout !

Hope dut intervenir et expliqua qu'il les avait protégés d'un ours. Il leur avait sauvé la vie, il ne méritait pas de se faire punir. Le regard de Criss s'adoucit alors. Il regarda ensuite Hope et Ben et, après s'être excusé au plus haut point pour les avoir fait courir un tel danger, il ajouta :

-Je suppose que vous ne comprenez pas. Lui, c'est Arthur. Je l'ai trouvé un jour, abandonné dans une ruelle. Lorsque je l'ai vu, j'ai tout de suite remarqué ses yeux. Il a eu de la chance que je sois le premier à le trouver. Ses parents n'ont pas dû l'assumer. Je savais que si la mauvaise personne le voyait, ce serait la fin pour lui. Je l'ai alors emmené chez moi. Il a vécu ses premières années de vie caché chez moi, puis j'ai décidé que je préférais le voir grandir dans la forêt plutôt qu'enfermer. Il vit dans ces bois depuis ces six ans. Presque personne n'est au courant de son existence. Lorsqu'il est entré dans ma vie, j'ai décidé que je me battrais pour qu'il ait le droit de vivre, comme tous ces semblables. C'est un bon garçon, un tantinet irréfléchi, il ne doit pas mourir. Je pense que je lui ferai faire la traverser dès qu'il aura le bon âge.

Hope et Ben restèrent alors quelques temps avec Arthur, pour apprendre à le connaître. Celui-ci était vraiment gentil et amical. Criss avait eu raison de le sauver. En entrant en contact avec les membres de la Rose Noire, Hope avait pu voir encore mieux combien la vie était injuste à Avaloria. Il ne fallait pas chercher loin pour le constater, du moins au Gouffre : ils avaient devant eux un petit garçon souriant qui avait été obligé de vivre caché et isolé. Combien d'autres enfances étaient gâchées par le royaume, combien d'autres vies l'étaient ? Hope regarda Arthur. Il était mignon et adorable et ces yeux lui donnaient quelque chose de spécial qui le rendait unique. Mais la différence, à Avaloria, condamnait des êtres humains.

Arthur regardait Ben et Hope comme s'ils étaient des anges sur terre. Il était souvent seul et la présence d'étrangers l'excitait. Il ne se plaignait pas, car c'était grâce à cela qu'il était encore vivant. Criss lui avait promis qu'à ses dix ans il pourrait faire la traversée, mais il ne voulait pas. Il voulait rester avec lui. Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi le fait que son deuxième œil n'était pas gris comme celui de Criss le condamnait à vivre ainsi. Une fois, il avait posé la question, mais il n'avait pas compris la réponse : « Fiston, tu ne comprends pas, c'est bien, cela veut dire que la folie humaine ne t'a pas contaminée. Car, vois-tu, certaines personnes sont prêtes à en écraser d'autres, comme nous, pour conserver leur statut. Parce qu'elles se croient supérieures à nous ». Il lui avait demandé si elles l'étaient réellement, ce à quoi Criss avait répondu : « Oh que non, fiston, oh que non... ».

Après ces moment chargés d'émotion, Ben et Hope avaient dû rentrer. Mais, alors qu'ils traversaient les routes du Gouffre, ils virent plusieurs membres de la milice qui marchaient au milieu des passants. De temps en temps, ils en arrêtaient un quelconque et ils commençaient à l'interroger. S'ils n'étaient pas satisfaits, ils prenaient l'individu en question par le bras et ils l'emmenaient de force. Hope en trembla.

Pour rentrer chez elle, Hope dû faire preuve d'astuce. Elle emprunta les ruelles vides et sales, se mêla aux rares personnes que l'on pouvait apercevoir, grimpa même sur certains toits. Elle finit par s'en sortir et, lorsqu'elle arriva enfin chez elle, sa mère l'attendait à la porte, debout, avec un sourire radieux. Dans son regard, il n'y avait plus aucun signe de douleur. Le remède avait fait effet.

Hope courut dans les bras de sa mère et l'embrassa. Elle profita de l'étreinte autant qu'elle le put et se mit à pleurer de bonheur. Sa mère allait mieux. Après trois ans, elle semblait en forme. Elle savait bien qu'elle n'était pas guérie. Qu'au fond, la maladie demeurait en elle, mais Hope eut de l'espoir. Pour la première fois depuis longtemps, elle crut réellement que sa mère allait guérir.

Elle resta comme cela avec sa mère pendant de longues minutes, oubliant tous ses problèmes. Elle comprit que pour voir sa mère en bonne santé, elle serait prête à tout. Sa mère allait mieux, elle ne pouvait penser qu'à cela. Elle avait presque oublié la dernière fois où sa mère s'était tenue debout seule, sans aide. Elle n'avait même plus besoin de la canne qu'elle avait utilisé au début de sa maladie.

Sa mère lui caressa doucement les cheveux. Elle versa elle-même une petite larme.

-Hope, je suis désolée. Je n'ai rien pu faire pour toi durant toutes ces années, mais les choses vont changer.

-Ce n'est pas de ta faute, ne sois pas désolée. Merci d'aller mieux, maman. Je suis tellement contente !

-Ne veux-tu pas entrer dans la maison ? Nous avons du temps perdu à rattraper il me semble. Acceptes-tu de passer du temps avec ta mère ?

Hope la regarda. Elle pleurait encore. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait été aussi heureuse. Elle voulait demander à sa mère de rester comme cela pour toujours, mais en réalité tout dépendait d'elle. Elle devait lui ramener d'autres remèdes.

-Hope, ne pleure plus, tout ira mieux maintenant.

Oui, tout irait mieux. Hope en était convaincue. Pour cela elle ne devait que rendre quelques visites à Cédric Ravenshade et, vu l'état de sa mère, elle était pressée de le revoir.

La Rose NoireWhere stories live. Discover now