Chapitre 6

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23 octobre, sur la route du château de Bran.

« Cette tempête était sûrement la meilleure chose qui pouvait nous arriver ».

Cette exclamation enthousiaste d'Elena, trois jours plus tôt, raisonnait ironiquement dans la tête de Cat. Déjà sur l'instant, elle était sceptique vis à vis de cette affirmation. Aujourd'hui, elle l'était plus encore. Non, soyons honnête, aujourd'hui, elle était en complet désaccord avec la bêtise de son amie. Elena et Chloé leur avaient dit au revoir la veille au soir, et elles avaient du rendre leur petit appartement en banlieue de Bucarest. Elles avaient réservé pour deux nuits une chambre d'hôtel, se donnant ainsi le temps de retrouver un appartement. Depuis qu'elles étaient rentrées, le lendemain de ce fameux orage, tout se bousculait dans sa tête. Ses amies avaient sans aucun doute remarqué son trouble, mais l'avaient attribué à leur départ prochain, et par conséquent, n'avaient pas relevé. Dieu merci ! Elle aurait été bien en peine de le leur expliquer ! Elle soupira. Elle était dans le bus pour Bran. Elle se demandait encore pourquoi elle avait prétexté des recherches urgentes pour pouvoir s'éclipser sans que Chloé ne la suive. Tout cela n'avait aucun sens. Du moins elle l'espérait. Elle se savait instable psychologiquement depuis l'accident. Ce n'était pas la première fois qu'elle avait des hallucinations. Mais d'habitude, c'était sous forme de flashback, pas sous... cette forme ! S'en était presque risible.

Elle secoua nerveusement la tête. Voyons, il fallait qu'elle tente de se rappeler. Cette nuit-là...

« Cette nuit-là, elle partageait une des somptueuses chambre du château de Bran avec Louise. L'orage se déchaînait dehors, depuis déjà de nombreuses heures, mais cela n'avait pas empêché son amie de s'endormir. Elle cependant, ne trouvait pas le sommeil. Il lui restait quelques chandelles, aussi s'en était-elle munie afin d'aller au salon et de tenter de saisir quelques bribes des livres que lui avait conseillé Virgil. Lorsqu'elle sortit de la chambre, une lumière à l'autre bout du couloir attira son attention. Elle fut presque heureuse d'en conclure que Virgile ne dormait pas. Elle allait pouvoir lui poser des questions sur la Transylvanie, qu'il avait l'air de bien connaître. Elle tomba effectivement sur leur guide, qui était appuyé contre le mur face à une grande fenêtre, le regard dans le vague. Elle avait raclé sa gorge. Lorsqu'il l'avait vue, il avait paru légèrement inquiet, ou agacé, elle n'aurait su le dire. Mais il avait vite sourit.

– Peur de l'orage ?

– Pas du tout, insomniaque je dirais.

– C'est étonnant. Les orages déroutent souvent les étrangers ici. Et cet orage en particulier a dérouté plus d'un roumain, alors j'imagine que pour vous...

– A vrai dire, j'ai toujours adoré l'orage. A partir du moment où j'étais en âge de marcher, mes parents me retrouvaient en train de courir dans le jardin sous la pluie, en appelant les « jolies lumières », plaisanta-t-elle.


Virgile lui avait lancé un drôle de regard, mais n'avait rien dit. Elle s'était sentie mal à l'aise. Pourquoi diable avait-elle raconté des choses pareilles à un parfait inconnu ?

– Vous restez encore longtemps en Roumanie ?

– Oui ! Enfin je n'ai pas vraiment de durée déterminée, je rentrerais quand j'en ressentirais l'envie je suppose.

– Vous n'étudiez pas ici pourtant ?

– Non, mon université est française. Mais j'ai pu faire quelques économies l'année passée, et j'ai décidé qu'elles me serviraient à changer d'air, et à achever mon mémoire brillamment.

– C'est un sujet très particulier que celui que vous avez choisi de traiter.

– Oui, sourit-elle, mais c'est un personnage qui m'a toujours fasciné.

– Vraiment. C'est très... original, répondit-il.

Elle s'était de nouveau sentie mal à l'aise. Il y avait comme une menace voilée dans ses paroles. Était-il possible que les roumains n'apprécient pas qu'une étrangère vienne exploiter leur patrimoine ?

– Oui, c'est l'avantage du sujet, il n'a pas été beaucoup traité, en France du moins.

– J'imagine que pour les français, comme pour la plupart des européens, Vlad Tepes se borne à être le comte Dracula.


Ce n'était pas une question, aussi ne répondit-elle pas.

– Quoi qu'il en soit, vous devriez retourner vous coucher, il fait glacial ici.

Cat allait partir quand une voix enrouée perça le silence du château.

– Ça alors Vlad, je ne t'aurais jamais imaginé éconduire de la sorte une jeune fille qui s'intéresse avec autant de passion à ta personne !

Cat avait volte-face. Elle avait rencontré le regard stupéfait de Virgile, et celui non moins stupéfié de... d'un... d'un spectre ?

– Qu'est-ce que... avait-elle commencé ?

– Par César elle m'entend ? S'était exclamé le spectre, horrifié.

– Qu... Que... Qui êtes-vous ?

Le spectre et Virgile s'étaient regardé d'un air encore plus perplexe.

– Et elle m'entend ? Vlad que se passe-t-il c'est une moroï elle aussi ?

– Décébale, tais toi.

Le petit spectre, qui avait l'apparence d'un vénérable viel homme, qui portait une barbe assez longue, avait ouvert la bouche pour protester, puis avait rencontré le regard furieux de Virgile (Vlad?) et s'était tu.

– Je... Je suis désolée, avait balbutié Cat, j'ai cru voir quelqu'un mais c'est... C'était moi, enfin mon imagination... Je ne me sens pas très bien je vais me recoucher.

Elle avait parlé très vite, tout en fixant le spectre. Non d'une pipe il flottait, il n'y avait aucun doute la dessus ! Et c'était bien la fenêtre du mur d'en face qu'elle apercevait à travers son corps ! Elle avait secoué la tête, plusieurs fois, tout en reculant précipitamment, puis s'était enfuie, il n'y avait pas d'autres termes pour qualifier son départ précipité. Elle n'avait pas pu trouver le sommeil cette nuit-là, elle ne comprenait plus. »

Et la voilà qui était dans ce car, pour retourner dans ce sinistre château qui lui provoquait des visions démentes !

Seulement quelque chose clochait. Le vieux monsieur fantôme, Décébale, comme leur guide l'avait appelé, avait le même nom qu'un roi Dace, l'un des premiers souverains à avoir unifié sous sa bannière le peuple roumain contre les ennemis étrangers. Quand à ce mot étrange, « moroï », qu'elle l'avait entendu prononcer, il signifiait, en roumain, créature du diable. C'était une sorte de dérivé du vampire classique. Or elle acceptait tout à fait le fait de ne pas être tout à fait seule dans sa tête et d'avoir des hallucinations. Mais en revanche elle ne comprenait pas comment il lui était possible, dans ces mêmes hallucinations, d'utiliser des noms de rois qui avaient existé, mais lui étaient totalement inconnus, et encore moins des mots roumains dont elle n'avait aucune connaissance !

Elle n'arrivait plus à penser clairement, c'est pourquoi elle avait décidé de retourner à Bran, mais plus le car approchait de sa destination, plus elle regrettait cette décision...

L'Ordre du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant