Chapitre 12

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- Tu ne risques plus rien, lui répéta Décébale pour la énième fois. Tatiana est la sorcière la plus compétente que je n'ai jamais rencontré, et crois moi j'en ai vu défiler, des sorcières, même de mon vivant ! Une fois tes souvenirs modifiés, tu pourras retourner tranquillement à ta vie normale et...

Cat perdit le fil, et se contenta de hocher régulièrement la tête afin que le vieux fantôme se sente écouté. Perdue dans ses pensées, elle fixait ses pieds. Son esprit lui semblait loin, très loin, les bruits qu'elle entendant étaient étouffés, et elle sentait à peine le sol sous ses pieds. Ses oreilles bourdonnaient légèrement.

- Cat ? Cat tout va bien ?

Elle entendit un lointain appel lui parvenir et sentit une surface froide et rigide contre sa joue. Sa vue se brouilla, et une voix rauque susurra à ses oreilles des mots incompréhensibles :

- Teu trebendis ea sorcera, ea sangi, ea vosso, teu trebendis ea sorcera...

Les mots revenaient en boucle, telle une sourde mélopée, qui augmentait doucement, jusqu'à envahir ses oreilles, son esprit. Bientôt les mots furent hurlés, et une douleur effroyable lui transperça le crâne. Puis ce fut le noir.

*

- Cat ? Cat tout va bien ? Elle revient à elle !

La voix de Louise lui vrilla les tympans. Cat tenta d'ouvrir un œil. Une seconde ? Louise ? Mais où était-elle ? Comment Louise l'avait-elle retrouvé ?

- Tu en es sûre ?

La voix grave de Vlad interrompit ses suppositions. Elle était toujours à l'Ordre.

- Quechqui s'est passé ? Marmonna-t-elle, la bouche pâteuse.

- Tu as fait un malaise, Cat, un gros malaise. Vlad a réussi à me contacter avec ton téléphone pour que je vienne te rejoindre. On pense que tu as peut-être fait une crise d'épilepsie... Il a appelé un médecin, il devrait arriver d'une minute à l'autre...

Un téléphone sonna. Cat mis quelques secondes à se rendre compte que c'était le sien.

- Ça doit être ton père ! s'exclama Louise

Elle se mordit aussitôt les lèvres en croisant le regard de Cat.

- Désolée, je me suis dit qu'il valait mieux le prévenir, tu avais vraiment l'air malade. Tu as toujours l'air d'ailleurs ! Repose-toi, je lui réponds !

Elle s'empara du téléphone et sortit de la chambre. Que dire de cette chambre ? On se serait cru au château de Bran, en plus moderne et moins poussiéreux, mais avec toujours cette propension à l'exagération (un baldaquin de deux mètres, était-ce réellement nécessaire ?).

Elle se tourna vers Vlad.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? redemanda-t-elle, soupçonneuse.

Elle avait fait un effort monstre pour ne pas chuinter en parlant. Vlad s'approcha et prit place sur la chaise près du lit.

- C'est comme elle te l'a dit. Tu marchais dans le couloir, Décébale était avec toi. Tu es tombée au sol, tu étais secouée de spasmes, et tu marmonnais quelque chose d'incompréhensible, puis tu as perdu connaissance. J'attendais plutôt que tu me dises ce qui s'est passé.

- J'ai entendu comme une voix, une voix qui murmurait, non, qui psalmodiait une sorte de formule, dans une langue que je ne connais pas. La voix est devenue de plus en plus forte, et puis il y a eu cette douleur...

Instinctivement, Cat porta sa main à son front et frissonna.

- Quel genre de langue ?

- On aurait dit du latin, mais pas vraiment, je ne suis pas sûre.

- Tu peux te souvenir ?

Cat resta un instant silencieuse. Pas parce qu'elle faisait un effort pour se rappeler des mots sinistres qu'elle avait entendus, mais parce qu'elle s'en rappelait parfaitement, comme si elle les avait appris par cœur des heures durant.

- « Teu trebendis ea sorcera, ea sangi, ea vosso ».

- Tu en es certaine ?

- Absolument.

Vlad fronça les sourcils.

- Je ne connais pas de langue qui utilise ces mots.

- Ça arrive même aux plus grands, ironisa Cat.

L'homme ne releva pas. Il se leva et continua.

- Je vais faire des recherches, même si je doute que ce soit autre chose que des pensées délirantes.

Outch. Visiblement les immortels perdaient le sens de l'humour, au fil des années.

- Ton amie est au courant que tu restes ici. Officiellement, pour te reposer, puis pour visiter. Nous l'accueillons également, dans la chambre d'à côté. En revanche, je vous conseillerai de ne pas trop fouiner, et de ne pas vous promener n'importe où au milieu de la nuit.

Cat resta muette, et acquiesça. Il quitta la pièce en trois grandes enjambées. Elle se laissa tomber sur les oreillers moelleux. Elle frotta de nouveau son front d'un air songeur. Puis elle commença à penser plus sérieusement à la question suivante : comment se faisait-il que ces mots, d'une langue inconnue par un immortel qui avait pourtant plus de 500 ans, lui paraissent à elle, clairs comme de l'eau de roche ?

Elle avait éludé toutes questions en disant que la langue lui était inconnue. En effet, elle n'avait aucune foutue idée de quelle langue pouvaient bien venir ces mots ! En revanche, leur sens n'avait pas de secret pour elle.

« Teu trebendis ea sorcera, ea sangi, ea vosso. »

Soit libéré du sort, du sang et du vœu.

L'Ordre du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant