Chapitre 36

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Tous les invités s'étaient rassemblés sur les bancs pour écouter le vieux conteur qui était debout sur scène. Le vieil homme était minuscule et voûté, ce qui lui donnait l'air d'être en permanence recroquevillé sur lui-même. Ses cheveux gris étaient dressés de façon tout à fait surprenante sur son crâne, et une barbe blanche lui mangeait le visage. On distinguait seulement ses yeux verts pétillants, écarquillés, qui se posaient sur chaque personne de l'auditoire. Il portait un costume traditionnel donc les manches bouffantes voletaient comme des ailes à chacune de ses grands mouvements de bras. La salle était plongée dans l'obscurité, seul un projecteur éclairait le conteur, dessinant sur son visage fripé des ombres inquiétantes. Les roumains avaient décidément le sens de la mise en scène.

Vlad s'était installé (avec beaucoup de mauvaise grâce) entre Louise et Cat afin de pouvoir leur traduire l'histoire au fur et à mesure. Le conteur exigea le silence, puis après un long moment à fixer son auditoire, il tapa du pied un grand coup, plissa les yeux, et leva ses petits bras bien haut. Il prit une grande inspiration, et débuta son récit d'une voix rauque :

- Este istorie a unei fiinte care a devenit un om...

Vlad se crispa un instant, et lâcha un soupir assez bruyant pour lui valoir un regard noir du petit homme.

- Alors, le pressa Cat, dépêche-toi sinon on ne va rien comprendre !

Le moroï lui jeta un regard agacé.

- « C'est l'histoire d'une bête qui devint un homme », récita-t-il laconiquement.

- Un conseil, persifla la jeune fille, n'envisage jamais une carrière de conteur.

- « Une bête qui n'avait d'humain que l'apparence », continua Vlad sans faire de cas. « C'était un fils de Valachie. Né du sang le plus noble, hériter de nos grands héros de jadis. Il avait un père valeureux, une mère aimante, et des frères fidèles. Il était destiné à régner sur son peuple, juste parmi les justes. Mais le démon en avait décidé autrement. »

Le moroï se tut, car le conteur s'était tu également. Il s'était accroupi au bord de la scène, et intimidait les plus jeunes enfants réunis au premier rang avec son regard grave.

- « Il vint un soir d'hiver, où la neige plongeait les pics des Carpates dans un silence gelé. Il enleva l'enfant, et en fit son fils. Draculea, le fils du diable ».

Cat et Louise sursautèrent d'un bel ensemble, et lancèrent un regard à leur interprète, qui resta impassible, et continua à leur murmurer le conte.

- « L'enfant devint un monstre des plus redoutables. Il tuait son réfléchir, il ne savait faire que ça. Son âme était perdue à tout jamais, ses seules amies étaient cruauté et violence. Il avait le corps d'un homme, mais c'était un démon, le pire d'entre tous. On raconte qu'avant d'attendre l'âge de quinze ans, il avait déjà massacré un million d'homme. La terreur régnait partout où il passait, car il ne se contentait pas de tuer ses victimes... Il les empalait !

Joignant le geste à la parole, le conteur brandit un petit morceau de bois taillé en pointe, dont l'ombre projetée derrière lui apparut déformée, gigantesque, tel un pal. Quelques enfants crièrent, et une petite fille se mit à pleurer.

- « Cependant mes enfants, le bien triomphe toujours, car Dieu veille sur nous dans sa miséricorde. Un jour le diable fut défait, et son fils, pardonné. Il revint parmi ceux qui avaient jadis été les siens, loup dans la bergerie, monstre parmi les hommes. Le pardon divin n'avait pas soigné son âme, ou plutôt, ne la lui avait pas rendue. »

L'Ordre du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant