Chapitre 13

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1er novembre, Bucarest

Cat et Louise déjeunaient en terrasse. Il faisait particulièrement doux pour un premier novembre. Le soleil réchauffait doucement la ville de ses rayons d'automne. Les rues baignaient dans une lueur orangée, apaisante, propice pour flâner dans les ruelles ou se détendre autour d'un bon repas. Pourtant, Cat était tout sauf détendue. Le matin même, elle avait réveillé Louise aux aurores, afin de se rendre à la bibliothèque universitaire de Bucarest. Son amie, suspicieuse, l'avait pourtant suivie sans rien dire. Cat s'était plongée trois heures durant dans des manuels de latin, de roumain, et même de moldave. Ses recherches n'avaient mené à rien. Les mots qu'elle avait entendus en figurait dans aucune de ces langues. Elle avait eu beau, en désespoir de cause, taper sur le web la phrase exacte, cela ne renvoyait à rien de connu. Elle était sortie du bâtiment avec une terrible envie de pleurer, et une non moins terrible envie de rentrer chez elle, de se blottir sous une couette, avec un chocolat chaud, devant une série insipide qui lui ferait oublier tous ses problèmes. Elle pouvait voir un fantôme ? Certes, elle n'avait jamais été de ceux qui rejettent en bloc toute possibilité de l'existence du surnaturel. Un ordre centenaire composé d'immortels la considérait comme dangereuse jusqu'à nouvel ordre ? Passe encore. Mais maintenant, elle entendait des voix qui lui parlaient dans une langue inconnue de tous, sauf d'elle ? Cela ressemblait un peu trop à la folie, à son goût. Elle sentait que le fragile équilibre mental qu'elle avait réussi à maintenir depuis quelques mois vacillait. Et elle ne savait pas combien d'évènements inexplicables elle pourrait encore supporter avant de perdre définitivement la tête

En face d'elle, Louise était étrangement silencieuse. Cat sentait que son amie la soupçonnait. De quoi, en revanche, elle n'en avait aucune idée.

- Je rentre demain en France, Cat.

- Quoi ?

Cat cria presque, et le regretta aussitôt. Louise sursauta, et fronça les sourcils.

- Ecoute je ne sais pas trop à quoi tu joues, mais tu es imprévisible, tu changes d'avis tout le temps. Tu avais laissé tes recherches de côté depuis une semaine, et ce matin tu te précipites à la bibliothèque dès l'ouverture... Sans parler de Virgil, que tu ne cesses de croiser « par hasard ».


Cat resta interdite. Que répondre ? Son attitude depuis les évènements au château de Bran était inexplicable, et inexcusable. Louise était sa meilleure amie, elle avait tout subi à ses côtés, et pourtant, elle ne pouvait rien lui dire. Si seulement elle pouvait lui montrer... Non, impliquer ses amies dans ce bourbier n'était sûrement pas la chose à faire. Pourtant, Cat se serait sentie tellement moins seule si elle avait pu en parler à quelqu'un. Ses yeux glissèrent vers la table voisine, et elle sursauta soudain. Louise se retourna, plissa les yeux, puis interrogea Cat :

- Mais qu'est ce qui t'a fait sursauter cette fois ? S'exaspéra-t-elle.

A deux mètres d'elle, Décébale était assis, ou du moins mimait la position assise au-dessus d'une chaise. Il lui adressa un petit signe discret, comme pour s'excuser. Elle ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Comme s'il avait besoin de se montrer discret !

- Mais Cat, tu m'écoutes au moins ?!

Louise s'énervait franchement. Cat ne répondit rien. Comment lui expliquer son attitude sans passer pour une folle, et sans mettre en danger son amie. Des larmes de frustration lui montèrent aux yeux. Son impuissance la mettait en rage. Elle aurait plus que tout souhaité que son amie puisse voir ce que ses yeux voyaient. Excédée, Louis se leva, se retourna pour partir quand soudain elle hurla. Cat sursauta, tandis que Louise reculait précipitamment, cognant dans leur table.

- Louise mais qu'est-ce que...

Cat se tut. Son amie fixait l'endroit exact où se trouvait Décébale. Le vieux fantôme la fixait également, bouche-bée, l'air égaré. Louise se tourna vers Cat.

- Tu l'as vu aussi n'est-ce pas ? souffla-t-elle. C'est pour ça que tu as sursauté tout à l'heure.

Un rictus d'horreur tordit le visage de Cat. C'était impossible, son amie ne pouvait pas voir Décébale. Le vieux fantôme se redressa et flotta jusqu'à elle.

- Elle me voit ! s'exclama-t-il.

- Je ne comprends pas Décébale...

- Décé quoi ? Qu'est-ce que tu racon...

Louise s'interrompit et tourna brusquement dans tous les sens.

- Où est-il ? Cria-t-elle, tu lui parles ? Cette chose a un nom ?

- Cette chose ? s'indigna le fantôme.

Cat comprit soudain. Louise avait aperçu Décébale, pendant un cours instant, au moment où Cat avait souhaité ardemment que son amie le voit.

- Louise suis-moi, on rentre !

- On rentre ? Où ça, chez ce roumain bizarre que tu fréquentes en cachette ? C'est hors de question Cat, moi je rentre, mais en France ! j'en ai ma claque de ce pays de fous !

La mâchoire de Cat faillit se décrocher, suivie de celle de Décébale.

- C'est honteux, s'outra le vieux roi ! Jamais Vlad fils de Dracul ne fréquenterait une modeste humaine ! Il est appelé à se marier avec une femme de son rang, noble et puissante !

Cat sentit un fou rire nerveux monter en elle. Elle gloussa, puis rit franchement. Louise la regarda, trop perdue pour s'énerver de nouveau. La jeune fille mit quelques minutes à se calmer.

- Louise, je te promets que si tu me suis jusqu'à là-bas, je t'explique tout ce que je peux t'expliquer. Mais s'il te plaît calme toi, gloussa-t-elle, et ne m'invente pas ce genre de relations palpitantes avec le premier roumain à qui je parle plus de cinq minutes!

Louise eut la bonne grâce de rougir en murmurant une excuse et acquiesça. 

L'Ordre du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant