Chapitre 39

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21 novembre au petit matin, Carei.

Malgré les menaces de Vlad, Cat avait pu sortir de sa chambre pour petit-déjeuner, accompagnée de Louise. Dans la grande salle à manger, tous les moroïs présents semblaient préoccupés et parlaient à voix basse entre eux. La jeune fille repéra les deux gorilles de la veille qui s'étaient isolés au coin d'une table et qui buvaient leur café en promenant sur l'assemblée un regard morne. Les deux amies se servirent et allèrent s'asseoir non loin d'un groupe d'hommes. Cat essaya de tendre l'oreille, et entendit bien évidement le prénom de Stefan au bout de quelques minutes. Elle remua son chocolat chaud d'un air maussade.

- Mange quelque chose, la sermonna Louise, qui de son côté avait l'air de trouver les croissants très à son goût. Tu n'as déjà presque pas dormi de la nuit, alors prends des forces !

L'arrivée soudaine de Décébale permit à Cat de ne pas avoir à répondre.

- Merci d'avoir levé le sort, jeune fille, j'ai été vérifier par moi-même, plus personne ne peut voir ne serait-ce qu'un de mes petits doigts !

- Moi en revanche, je peux toujours te voir, l'interrompit Louise.

- Sapristi ! Jura le spectre en fusillant la jeune fille du regard. Je pense tout de même que ta magie a dû se dissiper. Peut-être que ton amie ne me verra bientôt plus.

- Je ne pense pas, réfléchit Cat, ce n'est pas comme si je jetais un sort qui peut disparaître ensuite, c'est plutôt comme si...

Elle fut interrompue par un grand bruit, et toutes les personnes attablées se tournèrent vers l'entrée de la salle. La comtesse Báthory venait de faire son entrée, de façon spectaculaire, mais faut-il vraiment le préciser ? Elle avançait d'un pas souple et gracieux, entourée de dix hommes ressemblant comme deux (ou dix) gouttes d'eau à ceux qui avaient ramené Stefan pendant la nuit. Cat ne put s'empêcher d'admirer cette femme, et constata qu'il en était de même pour le reste de l'assemblée. Ses cheveux de jais étaient ramassés en arrière, et faisaient ressortir ses traits parfaits. Seule une boucle avait échappé à son étau et venait rouler le long de sa joue pâle, ajoutant à l'équilibre du tableau l'unique imperfection qui lui faisait frôler le sublime. Son cou de cygne était emprisonné dans la dentelle noir d'un col qui s'ouvrait ensuite pour laisser apercevoir un lambeau de peau d'albâtre jusqu'à la naissance de sa poitrine. Une pièce de cuir enserrait la dentelle ample de sa chemise et dessinait sa taille fine, et une paire de hautes bottes sombres épousait à la perfection ses jambes fuselées, elles aussi couvertes de noires. Jamais Cat n'avait jamais vu une femme incarner aussi parfaitement la tentation. L'assemblée entière, hommes et femmes, était muette d'admiration. La comtesse ne semblait pas appartenir au monde des hommes, mais plutôt à celui des anges. Ou des démons, pensa amèrement la jeune fille. Un petit sourire satisfait étira les lèvres cerise de la nouvelle venue.

- Bonjour à tous. Navrée d'interrompre ainsi votre déjeuner, mais je vous en prie, ne faites pas attention à moi.

Louise ricana presque.

- C'est vrai qu'avec une entrée tellement simple et discrète, c'est même surprenant que quelqu'un l'ait remarqué, souffla-t-elle.

Décébale hocha furieusement la tête. Son animosité pour la comtesse ne semblait pas avoir disparu, bien au contraire. Vlad fit soudain irruption dans la salle, l'air plus échevelé qu'à l'ordinaire, et suivi de près par son frère. La Báthory lui offrit son plus gracieux sourire, mais avant même qu'elle n'ait pu ouvrir la bouche, le moroï furieux l'interpella :

- Peut-on savoir qui a eu la brillante idée de nous envoyer un dangereux traître avec seulement deux pauvres hommes pour escorte ?

- Ces « pauvres » hommes, comme tu dis, sont mes espions, et un seul d'entre eux aurait suffi à tenir ce moroï en respect, siffla-t-elle.

Ses traits s'étaient soudain durcis, et son visage auparavant doux et serein semblait désormais promettre une mort imminente et sanglante à quiconque la contrarierait. 

- Tes 12 hommes réunis n'auraient pas suffi à le garder emprisonné, sombre idiote !

Tout le monde retint son souffle. Louise failli avaler sa gorgée de thé de travers. Même Décébale leva les yeux vers la comtesse, attendant sa réaction avec appréhension. Etonnamment, elle ne vint pas. Les deux moroïs se contentèrent de se fusiller du regard. Comme la nuit dernière, Cat eut l'impression qu'il émanait d'eux une sorte d'ombre menaçante, et elle frissonna. La menace était presque palpable, elle avait l'impression de sentir la mort roder autour d'eux. Ce fut Radu qui rompit le silence tendu.

- Il serait peut-être plus approprié d'en discuter ailleurs, déclara-t-il en regardant son frère avec insistance.

Sans desserrer les dents, Vlad approuva d'un hochement de tête sec et tourna les talons sans plus attendre. La Báthory le suivit, tel un (superbe) oiseau de mauvais augure. Les conversations reprirent, encore plus basses et effrénées qu'avant l'apparition de la comtesse.

- Pourquoi Vlad se la met-il à dos ? Demanda Cat en se tournant vers Décébale.

- C'est plutôt elle qui s'est mis notre ami à dos, grommela l'intéressé.

- Tu veux dire, commença Louise, que ce Stefan pourrait vraiment échapper à douze hommes comme ceux-là ?

Elle désigna les deux espions à la mine patibulaire, qui avaient étaient rejoints par leurs dix compagnons.

- Je ne comprends même pas qu'ils puissent être espions, renchérit-elle, franchement, ils sont comme leur maîtresse, c'est impossible de ne pas les remarquer !

- Ils ne sont pas humains, et crois moi ils passent très bien inaperçu. Quand à Stefan, Vlad a raison je doute que trente de ces hommes puissent le retenir contre son gré. S'il est ici, c'est parce qu'il le veut bien, malgré les apparences. Il doit préparer quelque chose, mais par Saturne j'ignore quoi !

- Une minute... Il peut s'échapper de sa prison à tout moment ? S'exclama Louise.

- Non bien sûr, il ne peut pas briser le sceau de Swann.

- Alors Stefan s'est laissé volontairement capturé, emprisonné et scellé dans une pièce qui va le vider à petit feu de toute énergie, en sachant que l'Ordre alerterait Sigismond et que cela le condamnerait à mort ? S'indigna Cat.

- Oui, gronda Décébale, cette fois-ci il doit préparer quelque chose de grand... C'est pourquoi Vlad et Radu sont sur les dents.

Elle échangea un regard avec son amie. Stefan n'avait pourtant rien tenté avant de se faire emprisonné. Rien, mis à part parler avec Cat. Bien sûr, il tentait de la manipuler pour qu'elle vienne à lui de son plein gré. Elle mordilla sa lèvre inférieure. Le traître n'était pas idiot, il la connaissait, ou tout du moins il savait prédire ses réactions. Elle avait une furieuse envie de descendre (ou de monter d'ailleurs, après tout pourquoi les cachots ne pourraient-ils pas être au troisième étage avec une jolie vue dégagée sur le parc ?) immédiatement et d'entendre ce qu'il avait à lui dire. Dans l'hypothèse où il avait réellement quelque chose à lui dire. Elle lâcha un soupir, et repoussa avec dégoût son chocolat qui était désormais froid. La journée s'annonçait mauvaise. Enfin, plus mauvaise que les précédentes, si tant est que c'était encore possible. 

L'Ordre du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant