Chapitre 9

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30 octobre, Bucarest

« La voiture roulait silencieusement. Assise côté passager, Cat n'osait pas le regarder. Elle se contentait de fixer ses mains, qu'elle tordait à s'en faire mal. La nuit tombait sur Rouen, la lumière du soleil avait disparu, et le paysage se fondait en nuances de gris. Les arbres se découpaient en ombres chinoises autour d'eux.

- Tu n'étais pas obligé de me ramener, ça t'oblige à sortir de la ville, j'aurais pu prendre un bus. Se lança Cat.

Son conducteur tressaillit.

- Pas de soucis Cat, ça ne me dérange pas.

La jeune fille osa lancer un coup d'œil vers son interlocuteur, et le regretta immédiatement. Elle n'aurait pas dû. Son visage, bien qu'à peine éclairé par les voyants du tableau de bord, était incroyablement beau. Il affichait un air soucieux, et mordillait machinalement sa lèvre inférieure. Cat détourna le regard. Tout son être lui criait de le consoler, de poser sa main sur sa cuisse, ou de caresser sa nuque, comme avant. Mais elle ne pouvait pas, elle ne pouvait plus. Il en avait décidé autrement.

- Tu vas bien Cat ?

La jeune fille sursauta.

- Oui je vais mieux.

Elle ricana intérieurement. Vraiment, elle ne pouvait pas faire plus d'efforts pour mentir ?

- Cat, je... Je suis vraiment désolée tu sais...

- Non Simon, s'il te plaît, ne t'excuse pas, ça ira. Vraiment.

Elle sentit qu'il s'affaissait. Elle ne voulait pas être sèche, mais s'il insistait, elle allait encore se mettre à pleurer, et elle ne voulait plus pleurer devant lui.

La nuit se faisait de plus en plus noire tandis que la voiture filait sur la route de campagne. Il n'y avait personne d'autre qu'eux, pas une seule voiture. Ils étaient comme suspendus hors du temps. Comme dans un flottement avant la fin du « toujours ». Leur dernier moment d'éternité en somme. Cat sentit les larmes lui picoter les yeux. Il ne fallait pas qu'elles débordent cette fois. Elle inspira doucement. Elle voulait que ce dernier au revoir se fasse dans la paix. Après, elle aurait toute la vie pour pleurer.

Soudain, un énorme bruit explosa sur le pare-brise. Elle cria, elle entendit Simon crier, et les pneus gémir sur l'asphalte. Le ciel se retourna, elle se sentit projetée, comme si elle s'envolait soudain. Puis il y eut comme un éclair, et un bruit métal agonisant, et ce fût le noir. »

Cat se redressa en nage, sur son lit. Elle ne pouvait plus respirer, cela recommençait. Le poids sur sa poitrine était là, l'écrasant. L'air n'entrait plus dans ses poumons. Elle se leva brutalement, tangua jusqu'à la porte-fenêtre en tentant de ne pas réveiller son amie, qui dormait sur un lit jumeau du sien. Elle ouvrit la fenêtre et se faufila sur le balcon. Le vieux tee-shirt qu'elle portait était trempé, et collait à sa peau moite et les grosses larmes qui coulaient sur ses joues n'arrangeaient rien à son état.

- Qui est Simon ?

Cat se retint de crier. Décébale l'avait suivie. Elle avait pensé que le vieux spectre lui aurait laissé un peu d'intimité. Mais étrangement, sa présence ne la dérangeait, pas elle se sentit même presque réconfortée.

- Ça ne dort pas, un fantôme ? lança-t-elle.

- Non, répondit-il le plus sérieusement du monde, nous ne dormons jamais, nous restons en permanence dans le même état d'éveil.

L'Ordre du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant