Chapitre 17 :

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Je cherche de l'air. Reprendre ma respiration. Vite. Je recule. Trébuche. M'accroche à un bras. Un éclair traverse ma vision. Je panique.

Morts.

Ils sont tous morts.

Mon dos heurte la porte. Aussi glacée que mes doigts. Aussi glacée que mon visage. On m'effleure la main et je bondis en arrière, encerclée, cherchant à m'échapper, à me soustraire à tous ces visages, tous ces regards. L'air sent trop fort, la salle est d'un silence trop assourdissant. Mes poumons sont sur le point de craquer. Ma vision se brouille. Mes lèvres sont ouvertes, mais ma voix est bloquée.

Je fais volte-face et dévale l'escalier.

Morts.

Ils sont tous morts.

Non. NON ! Les marches vibrent sous la vitesse. Je suis à un point de rupture continuel, à un cheveu de chuter à chaque marche. Mais j'accélère encore. Je veux sentir autre chose que ce froid, que ce trou, je veux être sauvé de cette folie, de cette noirceur qui pénètre mes poumons, de cette douleur qui me tord les os. Je suis encore seule. Je veux saigner, je veux me casser la tête ! Avoir mal physiquement. Ne plus penser à celle qui me bouffe les veines en moi. La porte vole à mon passage. J'explose comme une mine qui s'active sur simple pression.

Mon hurlement me troue les tympans. Je prie pour qu'il s'arrête. Je ne le supporte plus ! Je tombe, roule au sol et mes mains s'enfoncent si profondément dans la terre que je sens quelque chose d'humide glisser sur mes doigts. Un son, mi-râle mi-feulement, s'étrangle dans ma bouche. Ils m'ont abandonné. Je suis à nouveau seule. Vulnérable. Personne pour me rassurer quand j'ai peur. Pour me protéger quand je suis en danger. Je n'ai que moi-même. Comme je l'ai été dès le premier jour où je suis né. Comme je le serais le jour où je mourrai. Je n'ai pas de famille.

Mon souffle est si chaotique que c'est comme si j'abritais une mer dans mes poumons. J'ai l'impression que mes côtes éclatent en mille morceaux. La souffrance profonde et maladive qui se rue sur moi est une vague de tessons de verre. Tranchante et inévitable. Celle de la solitude. Une solitude ultime. Déserte. Grise. Où personne n'entend mes cris. Où mes démons ne peuvent être tués que si j'arrive à les battre à main nue. Elle me soulève la cage thoracique et creuse un vide plus grand que moi-même en moi. Je le jure, le jour où je tomberais dedans, personne ne pourra me repêcher. Ce vide, ce poids, ce mal. C'est gravé en moi. Ça chuchote à mon oreille, ça empoisonne mes veines, ça aveugle ma vision. Ça va me tuer.

Je suis un radeau à la dérive. Accroché à rien ni personne. Tous mes espoirs si rayonnants se brisent à mes pieds, révélant la réalité derrière l'illusion, la dystopie derrière l'utopie. Je n'aurais jamais de parents. De grands-pères ou de grands-mères. De frères. De sœur. Je ne saurais jamais ce que ça fait d'être serré dans des bras comme les parents le font avec leurs enfants. Car ils sont morts.

Ils sont tous morts.

Des vapeurs toxiques semblent obstruer l'air, car j'ai un haut-le-cœur soudain. Je me tends et résiste, mais mon front trempé de transpiration est comme tout le reste de mon corps : brûlant, étourdis, malade d'une maladie que je ne connais pas. Ou plutôt, si : la mort. Je la vois, partout autour de moi, son sourire dans le noir, démultiplié en cent, ses dents blanches qui étincellent de cruauté et de moquerie.

Tu pensais que j'allais m'arrêter à Jack ?

Je hurle, je griffe le sol, je lui crache dessus.

Enfoirée ! Tu m'as pris ma famille ! Ma famille entière ! Mes parents !

Des bras me ceinturent et me tirent en arrière. Je me débats, je crie, je gronde, je fais claquer mes dents, je m'arc-boute. Je ne veux pas qu'on me touche ! Je ne veux pas qu'on vienne me voir ! Qui vient me déranger ?

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Where stories live. Discover now