Chapitre 20 :

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Je me relève d'un coup. Tout s'est passé si vite ! Que font-ils ici ? Analya me précède, s'avançant à grands pas vers les enfants. Ils nous suivaient ?

- Qu'est-ce que vous faites ici ? Elle gronde, furieuse. Les Novices ne sont pas autorisés dans cette partie de la forêt, vous devriez être avec les autres, !

Les Àlfars les relâchent et ils se regroupent, l'air mal à l'aise.

- On ne voulait pas...

Le Loup fronce les sourcils et sa voix se durcit.

- Répondez.

Mu par l'autorité de sa voix de Loup, les enfants baissent la tête.

- On voulait la voir... de près. On voulait voir les yeux dorés. On n'en a jamais vu !

Le Serpent siffle.

- Manquait plus que ça...

Analya se tourne vers le Blaireau avec exaspération.

- Raccompagne-les.

Il hoche la tête et fait demi-tour. Les enfants, penauds, le suivent en baissant la tête.

Je fixe les amis d'Analya. Ce sont tous des agents, je n'en ai plus aucun doute. Ils ont immobilisé ces petits en moins de deux secondes, malgré le fait qu'aucun des Agents ne doit avoir deux ans de plus que moi. Je comprends maintenant ce qu'Analya entendait par « faible ». Je suis loin d'avoir leur niveau. Ils n'ont même pas eu besoin de parler pour savoir qui allait immobiliser qui et comment. Comment peuvent-ils avoir un tel instinct de coopération en plein combat ?

Analya leur lance un regard exaspéré, puis se détourne.

- Bien, allons-y. Nous y sommes presque.

Je réfléchis en marchant. Quel est le plan d'Ashir ? Compte-t-il juste révéler tout sur notre véritable nature aux services secrets qui nous traquent depuis des années ? Cela paraît fou. C'est comme offrir son cœur et un poignard sur un plateau à son pire ennemi. Il leur donnerait tous les moyens de nous anéantir. Totalement. C'est une prise de risque énorme. Je suis étonné qu'il n'ait eu rien que le cran de le proposer. Cela peut être un coup de maître capable de renverser entièrement la vapeur et de nous assurer une sécurité totale. Ou cela peut tous nous tuer.

Le risque est trop grand pour être pris. Pourtant, le Gibbon a raison. Nous fonçons dans un mur en le regardant droit dans les yeux. Nous mourrons. De plus en plus vite. Les attaques se sont multipliées ces dernières années. Les enfants perdent leurs parents. Eux-mêmes sont kidnappés. C'est un massacre. Une population entière, réduit de moitié en seulement cinquante ans ? Si rien ne change, il ne faut pas se voiler la face : dans cinquante ans, il ne restera personne. Il n'y a aucune raison pour que cette tuerie s'arrête entretemps, en fait, elle risque plutôt de s'accélérer à cause des innovations techniques.

Rien faire serait accepter la mort. Cependant, la mesure du Gibbon est extrêmement extrême. Pas étonnant qu'elle soulève des cris. Il a menacé publiquement tout le monde en leur donnant un mois pour décider. Cela veut dire que dans un mois, il fera ce dont il parle si fort. Il se met lui-même dans une situation critique en disant cela. La solidarité est profondément ancrée dans les os de notre peuple à cause de toute la misère qu'ils ont traversé, pourtant, cela veut aussi dire qu'ils sont capables de prendre des décisions rudes pour survivre. Je me demande combien de temps avant que le Hamu Gibbon soit retrouvé mort dans son bureau.

- Nous sommes arrivés, lance Analya. (Elle se tourne vers moi et ses yeux me sourient.) Prête à recevoir ton tatouage ?

Elle désigne un endroit sur notre droite et je plisse les yeux. J'aperçois une tente en tissu bordeaux dressé au milieu de la forêt. Les coins de la toile frémissent sous la brise et le bas du tissu se soulève légèrement, révélant une pénombre totale en dessous. Rien à l'intérieur ne vient troubler les bruits du bois, comme si elle était totalement intégrée dans le paysage.

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Where stories live. Discover now