Chapitre 29 :

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Laaja siffle d'un air impressionné devant les vitrines d'armes à feu, fusils, grenades et explosifs qui s'étalent sur toute la façade nord de la salle de préparation logistique, au sous-sol.

- Je commence à comprendre pourquoi tu voulais être seule à chercher tes parents...

Kaïcha se contente de plisser les yeux, et je sais alors qu'elle se demande si le Pavillon Cerf est aussi peu innocent que celui-là en avait l'air.

Comme tous les autres Agents, j'enfile des chaussures d'interventions aux semelles antidérapantes, un pantalon marron clair résistant et étanche avec deux poches latérales au niveau de la ceinture, un tee-shirt vert léger et étanche et par-dessus, j'ajuste un gilet pare-balles gris et des protèges-épaules.

Taaf, le Yack de mon escouade qui devra pirater le système informatique du complexe, nous passe un pack de premier secours. Je le remercie et le glisse dans ma ceinture à côté des porte-chargeurs, de la lampe frontale, de ma para-corde de survie et des pinces multifonctions. Je me sens bizarre, très nerveuse, mal au ventre, mal au cœur. J'ai eu des simulations de missions, chez les Cerfs, mais comparé à la pratique, ce ne sont pas les mêmes sensations.

On me passe un pistolet Magnum et je le range dans son étui avec la cinquantaine de cartouches que j'ai mise dans mon porte-munition. La capacité du Magnum n'est que de trente-six munitions, mais comme il peut tirer en rafales, ça descend vite. J'en ai déjà fait les frais. Kaïcha et Laaja sont les seules qui n'ont pas le droit d'en prendre. Elles n'ont pas eu de formation pour les utiliser et sont réduites à des armes plus basiques. Je n'aime pas ça. Ça me fait encore plus penser à quel point elles sont vulnérables face à des gardes armés.

Nous décrochons un masque à gaz et un talkie-walkie dans l'étagère d'à côté et on nous fixe une oreillette et une autre dans une poche au cas où l'autre serait arraché ou perdue. La porte s'ouvre à nouveau et nous sortons tous un par un. Jason, le Coyote de la mission s'approche et me met un boîtier noir dans la main. Je baisse les yeux dessus.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Pour ta première mission, explique-t-il.

Kaya, la commandante Panthère hoche la tête en silence. J'ouvre le boîtier, méfiante. À l'intérieur, je découvre une seringue avec un liquide rouge sombre presque bordeaux. Je la soulève et le liquide prend une teinte plus claire à la lumière. Je fronce les sourcils. Kaïcha, Laaja et moi échangeons un regard. C'est du sang.

- Le sang des Àlfars est nocif pour les humains, explique Taaf en voyant notre perplexité. Une dose injectée dans les veines du bras ou directement dans leur trachée suffit pour les rendre malade comme des chiens. (Il montre un boîtier similaire accroché à sa ceinture.) On a tous les mêmes. Il suffit que tu arrives à approcher suffisamment de l'humain, et tu le mettras hors d'état de nuire sans avoir à perdre du temps à le tuer.

Je pense à l'homme que j'ai tué sur le champ de bataille, et mes tripes se nouent.

- Pratique, en effet, murmure Laaja.

Je l'accroche à ma ceinture.

- La prochaine fois, je ne serai pas là pour te passer mon sang, tu devras te débrouiller toute seule, m'avertit Yosh.

Je hoche la tête. Ca ne devrait pas me poser de problème, ces derniers jours il a tendance à sortir facilement de mon corps... La Panthère se détourne et je la suis du regard prendre la tête de l'escadron, la tête droite et le regard fixe. Il y a dans ses pupilles une certaine distance qui m'avait frappée au premier étage. C'est le genre de personne dont il vaut mieux être ami qu'être ennemi.

En marchant, je remarque des détails auxquels je n'avais accordé aucune importance en arrivant. La façon dont la lumière joue sur les murs, la couleur vive du plafond, des pas feutrés plusieurs étages plus haut. Un rire d'enfant. L'odeur de poussière et de chaleur dans l'air. La moiteur de l'air chaud. Un simple reflet de la lumière dans un verre d'eau. Du bruissement du linge qu'on défroisse. On débouche à l'extérieur, et les impressions sont encore plus intenses, comme si d'un coup mes sens se réveillaient d'une longue sieste. Je sens la vie, partout. Je perçois avec une netteté limpide les battements de mon cœur, l'air sur ma peau, celui qui circule dans ma gorge, le sang dans mes veines.

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Where stories live. Discover now