Chapitre 21 :

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« Cache ta différence et elle sera ta faiblesse. Assume-la et elle sera ta force ».

- Shari, ne bouge pas la tête ! M'ordonne Théodora.

Je soupire. Theodora est un membre éloignée de mon Clan. Elle a été épargnée du massacre qui a tué ma famille parce qu'elle a hérité des gènes d'Antilope de sa mère au lieu de ceux de Guépard de son père et a grandi au Pavillon Antilope, mais elle a souvent rendu visite à sa famille du côté Guépard. Il n'y a plus qu'elle qui puisse faire le lien entre eux et moi, étant donné que j'ai visiblement épuisé « le reste de patience » que Ma'onna avait pour moi.

Elle avait insisté pour que ce soit elle qui m'habille et me maquille selon les coutumes de mon Clan, comme le veut la tradition après qu'on passe le test. Cela faisait si longtemps que les coutumes de mon Clan n'avaient pas été exhibées, que seule Théodora avait encore ce savoir-faire et j'ai accepté. Elle m'a prouvé son utilité dès son arrivée en me promettant qu'en échange, elle m'apporterait un album photos de mon Clan. Une occasion inespérée après l'échec avec la Yack, qui vaut bien ce mauvais moment à passer.

Ses doigts fins aux bouts caïeux manipulent mes cheveux avec habileté, mais je me sens tiré de partout et ma peau peu habitué aux artifices me pique et me gratte. Je me sens humide et lourde de tout ce qu'elle a appliqué sur mon visage. Théodora m'a ordonné de ne pas bouger avant que ce ne soit totalement fini, mais je ne pensais pas que ça prendrais si longtemps ! Ce qu'elle m'applique sur le visage et la peau me donne l'irrésistible envie de me frotter, mais elle veille au grain à ce que mes mains restent à leurs places et elle possède l'album photos que je convoite tant. Du coup, je focalise mon attention sur autre chose pour me distraire.

- Comment cela se fait-il que tu sois le seul membre aux gènes à moitié de mon Clan qui se soit manifesté à moi ? Personne d'autre n'est venu me voir, pourtant, tu ne dois pas être la seule !

Ses cils s'abaissent et elle soupire.

- Principalement parce que les gènes Guépards sont l'un des plus puissants de notre peuple. Presque tous les enfants avec un seul des deux parents Guépards avaient des gènes Guépards dominants. Ta Lignée était parmi la plus nombreuse... personne ne s'attendait à ce qu'elle disparaisse en l'espace de vingt-quatre heures.

- C'est impossible que tous les agents Guépards aient été au Pavillon cette nuit... je souffle. Keylan m'a dit que sur un an, soixante pourcents de l'effectif d'un Clan est en mission à l'extérieur et que seulement les quarante pourcent restants résident au Pavillon.

Les doigts de l'Antilope se font moins doux sur mes cheveux. Elle semble attendre de rassembler un meilleur contrôle sur ses sentiments avant de faire la moue, mais l'amertume laisse encore une trace dans sa voix :

- C'est une moyenne, Shari. Il y a des exceptions. C'était en pleine sortie de guerre froide. Le conseil des Voix savait de source sûre que bientôt, le KGB allait frapper sur un des trois Clans Aurochs, Serpents ou Yacks. Les Yacks étaient ceux le plus en danger car en plein territoire russe. Les Voix ont mis au point une stratégie de défense internationale et toutes les Lignées ont rassemblé leur effectif pour mettre en exécution le plan. Les Guépards étaient l'un des piliers du plan, mais le Congo était en guerre, à l'époque, et les bombardiers très utilisés. On n'a jamais su ce qui s'est réellement passé, mais le Refuge a explosé la nuit avant le début du plan.

Une vague de douleur s'écoule dans ma poitrine.

La pièce s'embrase brusquement. Un souffle brûlant nous propulse plus loin. Des flammes, des cendres et du verre brisé s'abat sur nous.

Je serre la bouche et souffle par le nez. Toute la population Guéparde, tuée. Les bébés, les enfants, les vieux, éradiqués. Leur corps déchiré, leurs membres en morceaux, leurs têtes détachées de leur corps. Tous. Chacun. D'entre. Eux. Explosés. Mon cœur s'agite dans la cage de mes côtes. Le chagrin qui me frappe le ventre se libère des chaînes. Éclate dans ma poitrine. Les mains de Theodora se crispent, comme si c'était elle qui recevait l'impact.

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant