Chapitre 44 :

95 17 9
                                    

Je détourne mes yeux de la fenêtre, soupire et plonge mon regard dans celui de mon jumeau.

- Honnêtement, tu penses que tu pourrais arriver à mettre la CIA de notre côté ?

Il fait la moue et ses yeux se fixent sur un point derrière moi.

- Non, pas pour l'instant. J'ai beaucoup de contacts et de passes, mais je dois d'abord être gradé au rang supérieur pour peser sérieusement dans la balance.

- Et c'est pour bientôt ?

Il sourit.

- C'est prévu dans mon planning, oui.

La fenêtre s'ouvre dans un coup de vent et une voix parle rapidement dans le talkie-walkie de Neal. Je me précipite à la fenêtre et vois un hélicoptère dans le ciel à moitié masqué par l'éclat du soleil. Neal me prend le bras.

- Colle-toi contre le mur !

Il donne des directives dans son talkie-walkie alors que je me dégage et regarde à nouveau dehors. Ils se dirigent droit vers nous !

- Qui est-ce ?

M. Jamal débarque dans la pièce.

- Les Lions reviennent pour Shari ! Ils ont dû voir qu'elle était entrée dans ce bâtiment depuis longtemps, qu'il y a eu une fusillade... ils ont décidé d'intervenir.

Neal jure et sort à grand pas dans le couloir.

- C'est normal chez vous d'envoyer des Àlfars en suicide ?

- Non, grogne Eenas en le suivant au pas de course, mais là, il s'agit de la descendante Guéparde !

Le Guépard a un grand sourire.

- Juste pour Shari ? Dis donc, t'est une star !

Je force sur mes jambes et immobilise son bras.

- Dit à tes gardes de ne pas ouvrir le feu. Neal ! Je m'exclame.

Il dévale les escaliers à toute vitesse.

- Eux ne vont pas s'en priver ! Ils ont des mitraillettes, ils ne viennent pas dans des intentions pacifiques ! Nous n'allons pas les laisser s'approcher.

- C'est ma famille et la tienne en passant ! Je gronde. Il y a des Àlfars à l'intérieur, des gens que je connais ! Ne tirez pas ! J'ordonne en lui bloquant le passage, sans bouger.

Le muscle de sa mâchoire se crispe. Le bruit des pales de l'hélicoptère devient de plus en plus fracassant. Ses yeux d'or se plissent.

- Et tu comptes faire quoi, petite maligne ?

Ils viennent pour moi. Mes pupilles se fixent dans les siennes.

- Faire exactement ce pour quoi ils viennent.

Il se tend, mais une fraction de seconde lui suffit pour accepter ma décision. Je descends les dernières marches de l'escalier et traverse en courant le rez-de-chaussée, quand soudain une main m'arrête.

- Shari ! S'exclame M. Jamal. Je ne peux pas prendre le risque que les Alfars me voient, mais je dois te mettre au courant : Kallol, il est à la solde des services secrets ! Je l'ai découv...

- Je sais ! Je le coupe en me dégageant.

Il fait brusquement un pas en avant.

- Attends ! S'il est venu à Braçalia, c'est uniquement pour Dyan, Randy et tous les autres ! Je l'ai surpris plusieurs fois en train de tourner autour du Refuge. Je le soupçonne d'avoir récolté des informations sur eux pour les Services Secrets Russes !

Je réalise d'un coup. Je tourne brusquement la tête en ouvrant grand les yeux.

- Ils savent où ils sont !

- C'est trop tard ! Je les ai cherchés partout dans les abris mis en place par l'armée américaine, ils ne sont nulle part. Les Services Secrets Russes les ont déjà enlevés !

- Shari ! Tu n'as pas le temps ! Cri Neal. Qu'est-ce que tu fais ?

M. Jamal se penche en avant.

- Shari, tu dois convaincre les Voix de parler avec eux pour s'associer. Il n'y a que comme cela qu'ils pourront être relâchés !

Mon cœur bat à une vitesse folle. J'aperçois en même temps l'hélicoptère fondre sur le bâtiment. Je n'ai plus le temps ! Je tourne les talons et déboule en courant à l'extérieur. J'attrape l'échelle qui passe à côté de moi, l'hélicoptère infléchit sa trajectoire et s'élève aussitôt dans les airs. Je monte les barreaux un par un en m'accrochant à la corde comme à ma vie. Je dois parler avec Akan dès que je rentre ! Bon sang, Ash va devenir fou s'il l'apprend !

Dès que j'attrape le dernier barreau de l'échelle, la portière s'ouvre en grand et je suis tirée brusquement à l'intérieur de la machine. Tous les Chamois se précipitent aussitôt autour de moi comme si j'étais en train de perdre mon sang. On m'allonge sur un lit d'urgence, on prend mon pouls, ma température, et tout tourne brusquement autour de moi.

- Retourne-toi sur le côté.

Je m'accroche à cette voix familière, calme dans l'agitation ambiante. Nathan apparaît devant moi et m'aide à exécuter cette tâche, pénible à cause de ma hanche. Je ravale la douleur.

Un Chamois se penche vers moi, masquée.

- Est-ce que je peux enlever ton haut ?

Je hoche la tête et fait passer mon tee-shirt par-dessus ma tête. La balle n'a fait qu 'arracher une bande de peau au niveau de ma hanche, mais la douleur me handicape plus que je l'aurais cru. Je grimace. Pourtant, la raison de mes battements de cœur affolés, du nœud serré dans mon ventre, vient d'une tout autre raison. Les informations de tout ce qu'il s'est passé tourbillonnent dans mon esprit, encore trop frais pour les avoir assimilés.

Les paroles m'arrivent déformées... floues... brouillons. Mes yeux se perdent au plafond. Un frisson soulève mes poils sur ma peau. Un bruit de fond bourdonne dans mes oreilles. Mes propres pensées. Si nombreuses, si confuses, si désordonnées.

J'ai un jumeau.

Mes yeux se ferment. J'ai l'impression d'avoir la tête plongée dans l'eau, dans un espace où tout est déformé et cotonneux.

Un jumeau, qu'est-ce que ça implique ? Beaucoup d'embrouilles. Il a dit qu'il comptait monter en grade ? Mais dans combien de temps ? Et sera-t-il capable de placer les bons mots dans les oreilles des bonnes personnes ? Il n'est pas arrivé à son poste sans savoir quoi dire à quel moment, mais il y a une différence entre se promouvoir et promouvoir une alliance de deux camps qui s'entre-déchirent depuis des décennies ! Et si l'un des supérieurs décidait d'utiliser Neal pour le retourner contre nous ? Pour lui soutirer des informations qui mèneront à un massacre bien plus important que celui du Printemps ?

J'essaye de me raisonner. M. Jamal est une ancienne Pupille, il a grandi dans la méfiance et la prudence constante. Il n'en est est pas à sa première négociation, il ne lui a pas donné assez d'informations pour que cela puisse être utilisé contre lui. Il a été prudent et je ne lui ai donné aucun grain à moudre non plus.

Et il y a un autre cas à envisager. S'il nous trahit ? Je dois forcément considérer cette option, même si je pense qu'il ne le fera pas. Ou peut-être que si ? Et si j'étais juste aveuglée par la découverte d'un frère ? Si je me comportais comme une simplette écervelée, qui veut y croire tellement fort qu'elle se ment à elle-même ? J'ai beau avoir senti son amertume, sa colère, qu'est-ce qui m'assure qu'il ne joue pas la comédie ? Après tout, c'est un agent de la CIA. Ils sont entraînés à se mettre dans la peau de n'importe quel personnage.

Il est dangereux, on ne peut pas le sous-estimer. Dans ce cas, il pourrait même continuer à jouer la comédie jusqu'à ce qu'on s'en rende compte trop tard... récolter des informations, de plus en plus risquées pour nous.

Mes yeux se ferment. Nous devons savoir dès le début s'il est prêt à basculer de notre côté ou nous risquons de le payer le prix fort.

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Where stories live. Discover now