Chapitre 19 :

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Un « cling » métallique. Deux lances croisées me bloquent le chemin. Liban ne se départit pas de son calme et me regarde patiemment, comme s'il attendait que ça passe. Je grogne et mes doigts se resserrent sur le manche de mes dagues. Les deux gardes ne bougent pas d'un poil devant leur Hamu.

- Pourquoi tu me l'as pas dit ? Je m'exclame.

Le Hamu Cerf me considère profondément.

- Justement à cause de cela. Tu venais juste de sortir d'une traversée des montagnes qui vous a gravement affaiblis, et tu as découvert que ta famille t'avait été cachée durant toute ta vie. J'étais aussi censé t'asséner tranquillement qu'en fait, tout ton Clan avait été massacré ?

Je lève les bras en l'air.

- Donc tu as préféré que je l'apprenne en plein milieu de ma candidature ? Quelle pédagogie ! Tu avais peur que je fuie, oui ! Que je parvienne à m'échapper comme Kallol !

Liban croise les mains sur le bureau devant lequel il est assis, dans la cabane de bois et de végétation qu'on nous a attribué au Printemps. Liban penche la tête sur le côté en soupirant.

- Également. Nous ne pouvions pas courir le risque de provoquer ta colère et ta tristesse. Les Guépards sont réputés pour avoir des réactions incontrôlables. Nous ne pouvions pas savoir ce que tu allais faire...

Un bruit roule dans ma gorge. Mes mains sont crispées comme des griffes. Il ne le dit pas, mais c'est évident. La vitesse est la caractéristique de mon Clan. Si j'avais fui, ils n'auraient pas été en mesure de me rattraper. C'est l'unique raison pour laquelle il ne m'a rien dit, et pas cette ridicule excuse. La peur. Ici, il ne craint rien. Nous sommes à des milliers de kilomètres de la civilisation. Toute tentative de fuite serait futile. Mes dents crissent dans ma bouche. Il croyait vraiment que j'allais laisser derrière moi Kaïcha, Laaja, Ash ? Comment peut-il penser aussi peu de moi ?

- Quelle stupidité ! Je siffle. Tu pensais vraiment que je me serais enfui ?

Je suis à terre avant d'avoir pu respirer, deux lances plantées de chaque côté de ma tête. Le genou d'un des gardes me plaque le torse au sol et le pied de l'autre me presse la jugulaire. Je n'arrive pas à articuler un mot. La douleur jaillit comme une flamme dans ma gorge. Je respire difficilement, un œil plissé, les dents serrées.

- Relâchez-la ! Ordonne une voix sèche et impérieuse.

Aussitôt, les deux gardes se repositionnent devant leur Hamu avec un regard si noir qu'on les croirait changés en Blaireau. Je reprends une respiration rauque et me remets à genoux en baissant la tête pour me laisser le temps de reprendre une contenance et d'effacer la griffe de fureur qui descend dans mon torse. Insulter un Hamu devant ses gardes... quelle maligne.

- Relève-toi, ordonne à nouveau la voix, celle de Liban.

C'est le ton qu'il prend quand des difficultés se présentent à l'horizon. Cela ne présage rien de bon. Je m'appuie sur mon genou, me relève et fixe le Hamu Cerf. Son regard est dur.

- Tu ne connais pas encore tous nos us et coutumes. Je vais laisser couler pour cette fois. Mais rappelle-toi que connaître mon prénom ne veut pas dire se comporter avec moi comme avec un proche. Tu es sous ma responsabilité, alors il va falloir que je t'apprenne à respecter la hiérarchie. Et ici, la hiérarchie, c'est moi et tous les autres Hamus. Retiens bien cela.

Je serre les dents et mes lèvres s'ouvrent, mais je détourne la tête et ravale mes mots. Il vient de me prévenir qu'on ne joue plus sur la même échelle. Je dois apprendre. Maintenant que je ne suis plus une protégée à leurs yeux, il ne laissera passer plus aucun écart de comportement. Je dois me comporter comme n'importe quel autre Àlfar face à son Hamu.

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Where stories live. Discover now