Chapitre 33 :

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Je me redresse brusquement.

Je ferme les yeux. Me rallonge lentement. Ralentis ma respiration sifflante. La salive a un goût de sang dans ma bouche. J'ai froid à en avoir les poils dressés sur la peau.

Encore ce cauchemar.

Ou ce rêve. À vrai dire, je ne sais pas ce que c'est, je sais seulement que j'ai la chair de poule comme si je me tenais devant un précipice. La fièvre me rend-elle folle ? Suis-je devenue instable ? Cela fait des semaines que cette vision me hante, de plus en plus réaliste, de plus en plus oppressante. De ces deux yeux dorés qui me fixent.

Au début, je croyais que c'étaient les miens. Que je me voyais dans un miroir. Mais je n'ai jamais vu ce regard dans mes propres yeux. C'est celui d'un étranger. Parfois, c'est accompagné d'une douleur brusque, comme si on me donnait un coup brutal, parfois j'ai une sensation mouillée sur la nuque, comme si je transpirais. J'ai déjà même entendu un souffle erratique et précipité. C'est cela qui me hante le plus. J'entends quelqu'un respirer dans mon propre sommeil !

Est-ce qu'on me donnerait des médicaments à mon insu ? Est-ce que je suis en train de tourner paranoïaque ? Serait-ce un ancien Guépard venu me hanter ? Je ne crois pas aux fantômes ou aux choses de ce genre, mais ces yeux dorés ne sont pas censé apparaître si souvent dans mon sommeil.

Ou serait-ce l'esprit de ce soldat que j'ai tué ? Arrêtera-t-il un jour ? Me laissera-t-il dormir ? Ma respiration s'accélère. Une seule nuit ! Ma vue se trouble. Depuis que je suis rentrée de sauvetage, c'est devenu invivable. Trois jours que je ne ferme pas les yeux pour ne pas rencontrer son regard. Je porte ma main à ma tête qui tourne. Je n'aurais pas dû le tuer ! Je n'aurais jamais dû ! Ma gorge s'assèche. Ni tous les autres ! Je rabats brusquement mes draps et sors en titubant de mon lit. Le vide qui s'est creusé dans ma poitrine aspire mon esprit comme une tornade. Ma poitrine se lève et s'abaisse précipitamment.

Le malaise dans mon cœur m'étouffe. La culpabilité m'étouffe. Quelque chose me tire vers le bas. Je n'arrive pas à faire face à mon reflet dans la vitre. Mon cœur bat vite dans ma gorge, comme si j'allais vomir. Je ravale un haut-le-cœur et c'est comme si mes larmes coulaient dans ma gorge. Je les sens, salées, piquer mon estomac. Un cri silencieux s'échappe de ma bouche.

Le sang tâche mes poings et je les cache aussitôt derrière mon dos. Une boule suffocante se loge dans ma gorge. Que ce cauchemar s'arrête ! La douleur sourde qui pulse dans ma poitrine résonne à chaque battement. Je ne voulais pas le tuer ! Mais c'est ma main qui a enfoncé ma dague dans son rein... qui l'a ressorti... qui l'a regardé tomber à genoux... perdre son sang. Je n'ai rien fait pour l'aider. J'aurais pu... j'aurais pu compresser sa blessure et... je secoue brusquement la tête. Ah ! Je dois arrêter de penser à ça ! Je dois me ressaisir. Je dois penser à ce que je fais maintenant.

La porte s'ouvre, mais au lieu de la voix habituelle de Sahan, c'est celle de quelqu'un d'autre qui s'insinue dans mes oreilles :

- Alors, comment va la blessée ?

Je ferme les yeux et tente de faire abstraction de mon mal de crâne. J'essaye de trouver l'énergie de me tourner et répondre, mais je ne trouve pas assez de motivation. Je ne suis pas une personne sociable, le manque de sommeil empire encore la chose. Néanmoins, une partie de mon cerveau se pose la question. Comment je vais ? Le nombre de tubes qui plongent dans mon bras a diminué au fur et à mesure du temps. Ça veut dire que je vais mieux physiquement. Je peux me tenir debout et marcher. Les balles à la cuisse et au mollet ont laissé des blessures qui cicatrisent lentement, mais elles cicatrisent. Je hausse les épaules. Comment je vais ?

- Comme une blessée.

Un silence pensif passe.

- Tu as eu une première mission plus difficile que beaucoup d'entre nous. Je te mentirais si je te disais que je ne m'attendais pas à des dégâts.

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant