Chapitre 10 :

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Nos ceintures se déclipsent, nous enlevons nos casques et nous mettons pied à terre. Je masse mes oreilles, douloureuses à cause de la pression du casque en regardant les alentours. Tout est vert, d'un vert profond tirant sur le noir au vert clair illuminé par les quelques rais de soleil qui percent le couvert des arbres et font briller un coin de rocher, une touffe d'herbe, l'écorce d'un tronc. Les grincements des branches et le souffle du vent bercent l'air troublé par les bruits des oiseaux qui s'interpellent et se répondent, le bourdonnement des insectes et le bruit des petits mammifères qui fouillent le sol.


Je m'éloigne et tourne sur moi-même. Je fronce les sourcils. Où sont tous les autres ? Tous les hélicoptères qui volaient dans le ciel ? Ils ont du bien atterrir quelque part, non ?

Une main se pose sur mon épaule et je me recule d'un bond. Le regard de Liban plonge dans le mien.

- Nous allons bientôt tous les retrouver, mais chaque Clan atterrit à un spot précis, c'est pour cela que tu ne vois personne pour l'instant. Fais attention, notre peuple est nombreux, reste près de nous où tu risqueras de te perdre une fois là-bas. (Son regard se fait plus intense et il bascule la tête vers moi.) Et ne parle pas de ton Clan jusqu'à ce que tu sois reconnu Àlfar, d'accord ? Nous devons attendre le bon moment.

Je l'observe en silence et hoche la tête. Je vois dans ses yeux qu'il va me surveiller, mais je sais déjà qu'il ne pourra pas me surveiller d'assez près pour que je ne puisse pas filer dans la foule. Chercher mes parents. Ma Lignée. Ma famille de sang.

Un torchon se serre dans mon ventre. Je déteste penser à ma mère. Je déteste penser à la coupure brusque, sanglante, avec elle. Avec mes frères. Sans doute tous morts à l'heure qu'il est, vu la longévité de ces félins. Tous morts. Des squelettes, comme je le serai bientôt si j'en crois ce qu'on m'a dit sur la vie de fugitif et de violence des Àlfars.

Encore plus tôt, si j'en crois ce que j'ai vu.

Le Hamu Cerf se retourne et fait un signe de bras. Aussitôt, tous les Cerfs lui emboîtent le pas et s'engouffrent dans les bois derrière lui dans un joyeux fond de conversation. Les Àlfars des autres hélicoptères Cerfs qui ont atterri nous rattrapent et nous serpentons ensemble dans la forêt vers une destination qui reste mystérieusement invisible. Mon corps se réveille aussitôt au contact de l'air boisé et de la terre souple sous mes bottes et je sens mes foulées se faire plus souple, mes sens se mettre sur le qui-vif, mes yeux guetter les mouvements. Je ne peux m'empêcher de sentir cette pointe nerveuse, même si je sais que nous ne sommes plus dans les montagnes, que nous ne craignons plus rien et qu'il n'y a pas lieu à chercher le danger. Ash, à l'écart du groupe, semble être tendu et sa démarche plus que jamais furtive et silencieuse me donnent l'impression que je ne suis pas la seule à revivre de mauvais souvenirs.

Des points de lumières chaudes apparaissent au loin et une rumeur de plus en plus forte glisse dans mes oreilles. Je crois voir des jets de feu et de lumière, un tambourinement constant, une fièvre qui ne fait que bourdonner encore. Deux Cerfs que j'ai rencontrés au Pavillon se rapprochent de moi.

- Alors, pas trop stressé ?

- Tu vas voir, c'est magnifique ! Il n'y a pas un endroit au monde où on se sent plus à notre place qu'au Printemps, lance l'autre.

Je lui lance un coup d'œil et détourne en silence le regard pour fixer la lueur lumineuse au loin. Mes lèvres se retroussent en un rictus.

- A toi de me dire, je devrais être stressé ?

Je suis partagé entre un mélange de peur et d'attirance. Je crève d'envie de voir ce qu'il y a là-bas, c'est comme si on me tirait par un fil dans cette direction, mais je n'ai aucune idée de ce qu'il y aura au bout. Un fantôme de sourire apparaît sur ma bouche. Et ce n'est pas pour me déplaire. Déstabilisé, le premier Cerf rigole.

Les serres du Corbeau - Double-âme [3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant