1. La demande (1/2) - réécrit

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Tout commença le jour où j'acceptai l'incroyable exigence de Chloé Desneiges. J'étais tellement grisée par le nombre de zéros sur son chèque que j'aurais pu consentir à des demandes bien plus incongrues.
Le froid de l'hiver s'était invité depuis plusieurs semaines à Paris. Elle portait un long manteau mais je pus apercevoir ses jambes lorsqu'elle les croisa en prenant place sur le sofa.  Une vraie poupée. Je devinais sa silhouette parfaite et je me réjouissais de ce que j'allais pouvoir en faire.

J'étais organisatrice de mariage depuis cinq ans, wedding planner quand je l'annonçais en public (pour la frime) et je m'occupais aussi bien du calibre des amuse-bouches, que de la couleur de la serviette des témoins ou du nombre de pétales sur les roses. Mon affaire Wedding Wedding était récente (l'origine de ce nom se cache dans les verres de Margarita sirotés avec mes amis en braillant la chanson du film « New York New York ») mais mon carnet de commandes comptait déjà des noms huppés de la sphère parisienne. Je m'étais fait une place au soleil que je comptais bien garder.

Si Chloé me faisait confiance et acceptait de m'engager, elle deviendrait ma plus grande cliente. Je savais qu'elle était directrice de la plus grande agence immobilière de Paris, et j'apprendrai plus tard qu'elle était fille d'un directeur de cabinet d'assurances.
Notre premier échange téléphonique s'était merveilleusement bien passé. Comme d'habitude, le rendez-vous physique se déroulait dans un café chic, choisi par le client. Chloé avait opté pour Le Quatre Trèfle, un lieu connu dans le VIIe arrondissement où elle habitait (à présent, vous comprenez l'oseille que Chloé doit avoir). Elle s'était présentée seule et nos salutations à peine échangées,  avait précisé :

– Dimitri, mon fiancé, n'a pas pu se libérer. Meeting d'affaires urgent entre banquiers, vous savez.

Non pas spécialement, mais bon, j'avais hoché la tête avec compréhension. Rien d'original jusque-là : un conjoint stressé, l'autre moins impliqué. Mariage de même sexe ou non, c'était très souvent le cas. La future mariée s'excusait pour lui, elle avait l'air d'être réglo et à cheval sur les bons principes, élément à retenir.

– Je peux vous appeler Amanda ?

– Bien sûr, mademoiselle Desneiges.

– Chloé, voyons ! Nous avons le même âge, après tout.

Le serveur avait rempli nos tasses et était reparti aussi discrètement. Elle avait posé ses mains autour de la porcelaine pour les réchauffer et m'avait indiqué :

– Vous avez un cheveu sur votre col.

Grâce à son aide, comme un miroir, elle m'avait montré où je devais passer ma main pour l'enlever. Un long cheveu brun faisait tâche sur mon pull crème.

Nous revînmes sur ses attentes. Chloé avait dressé une liste longue comme mes deux bras. J'avais déjà plusieurs documents à lui proposer suite à notre échange au téléphone.

Chloé semblait ravie de notre collaboration imminente. Le chèque n'était pas signé qu'elle semblait évidente. Nous convenions déjà de dates pour chacune des mises au point et avancées des préparatifs. Notre agenda était ambitieux : une entrevue par semaine jusqu'à la fin du printemps, sans compter les mails et les coups de fil. Chloé et son Dimitri allaient devenir mes nouveaux « amis » pour les mois à venir.

– C'est parfait, vraiment parfait ! Enfin quelqu'un qui me comprend. Élise a eu une excellente intuition lorsqu'elle m'a recommandé Wedding Wedding. J'adore le nom, au fait ! dit-elle toute exaltée devant son chocolat viennois.

C'était la seule ; pour ma part dès que j'entendais le nom de mon affaire, je riais intérieurement.

– Il me tarde de commencer !

Jusque-là, je ne pouvais imaginer un meilleur rendez-vous : cliente adorable, pas de manières. Chloé ouvrit son carnet de chèque et son stylo-plume se mit à courir sur le papier.

– Amanda, j'ai une faveur à vous demander. J'ai conscience que ça peut vous paraître bizarre mais c'est la condition sine qua non si vous voulez obtenir ce contrat.

C'est à ce moment-là qu'elle choisit de me montrer le chèque qu'elle venait de compléter. Le montant dépassait mes espérances et mon air de poisson suffoquant l'encouragea :

– Vous ne rêvez pas. J'ai gonflé la somme compte tenu de ma requête.

– Tout ce que vous voulez, dis-je en tentant de masquer mon euphorie.

Bien qu'intriguée, je ne m'attendais pas à ce qui allait suivre :

– Comme vous pouvez vous en douter, mon fiancé sera présent lors de nos rendez-vous. Alors vous ne pourrez pas vous présenter comme ça.

La cerise sur la pièce montée (édité)Where stories live. Discover now