24. Le papier (2/5)

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Dans la voiture, je ne parlais pas. Je luttais pour ne pas tout lui révéler. Mais comment ne pouvait-il pas deviner que c'était moi sous le masque ? Comment continuer ainsi cette mascarade ? Pourquoi ne pas lui dire que cette attirance était réciproque. Que je suis même la première à pouvoir le revendiquer car elle date de notre premier regard. La colère commençait à gronder aussi : pourquoi ne s'était-il jamais manifesté ?

Oui, pourquoi ?!! Alors qu'il l'avait su. Un souvenir me revint aussi violemment que le retour d'un boomerang. Pourtant, je n'eus pas plus le temps de m'y plonger. Je ne me rendis pas compte que j'avais conduit jusqu'à sa destination. Nous étions arrivés au niveau du chemin d'entrée menant à la ferme de ses parents :

– Laissez-moi là, je vais marcher. Merci beaucoup Amanda ! Je me sens déjà tellement mieux.

Dimitri Grévois avait retrouvé toute son assurance, toute sa beauté et son regard pénétrant. Il ne voulait plus rien de moi. Pourtant, sans aucun doute, j'aurais cédé à ses avances s'il y en avait eu.

Je le laissai et repartis sans me tourner vers le rétroviseur.

Pas le temps de cogiter, le chemin jusqu'à ma maison était très court. Avant de frapper à la porte de mes parents, je me démaquillai en vitesse, me débarrassai du superflu.

J'enfermai ma colère dans une boîte et sonnai. J'avais anticipé et prévenu ma mère par texto. Elle m'attendait avec impatience et me sauta au cou après avoir ouvert la porte.

Ne pleure pas Amanda, ne pleure pas.

– Salut, maman.


L'odeur du café. Oui, l'odeur du café qui vous accueille dès le réveil après une nuit dans mon lit d'enfant était une de mes sensations préférées. Toute jeune, bien que je n'aimais pas encore le café, c'était l'odeur rassurante, l'odeur de la bienveillance et du partage.

Il n'y avait rien à faire, chacun de mes séjours chez mes parents avait quelque chose d'agréablement régressif. Je me laissais porter par mes parents. Ils ne voulaient que je lève le moindre petit doigt, alors qu'ils nous avaient déjà tout donné et que c'était moi qui voulais tout faire pour eux maintenant.

Physiquement et émotionnellement épuisée, j'avais dormi comme une masse. Un rai de lumière clair, annonciateur d'une très belle journée, passait à travers le bas de ma porte de chambre. J'avais suivi l'odeur aimée jusqu'à la cuisine où mes parents, que ma présence faisait rayonner de bonheur, m'attendaient.

– Que j'aimerais que mes deux bébés viennent pour un week-end en même temps, déclara ma mère en remplissant ma tasse.

Mon père me tendit deux morceaux de pain grillé.

– Y'a assez de beurre ?

– Oui, merci. C'est vrai maman, on pourrait s'organiser ça cet été.

Et nous prîmes tous les trois le petit-déjeuner.

Ce moment réchauffa autant mon cœur qu'il me fit culpabiliser. Car je n'avais rien de l'enfant prodigue qui revient à la maison tous les trois ans comme dans les films, jusque-là, nous étions en contact très régulièrement, et je revenais au moins tous les deux mois à la maison. Ils ne méritaient pas ça.

– Alors, mon poussin, qu'est-ce que tu nous racontes de beau ?

Ma mère semblait excitée. Elle voulait sûrement rattraper le temps perdu par une conversation « mise à jour » riche et animée.

– Maman, papa, est-ce que je peux rester deux ou trois jours ?

– Oh oui ! Oui. Oh, je suis trop heureuse. On va te bichonner, je vais prévoir un petit programme alors !

Mon père, souriant et reconnaissant pour cette journée qui commençait sous les meilleurs auspices, tourna le bouton de la radio, la même depuis notre enfance.

L'urgence de parler éloignée, maintenant qu'ils savaient que je restais, permit à ma mère de rester silencieuse et de nous laisser manger en écoutant la musique, et de simplement profiter de l'instant passé ensemble.

Je ne pus m'empêcher de repenser à tous ces matins de week-end. Je descendais rejoindre mes parents, tartines et chocolat chaud déjà servis. Cette époque où ma seule préoccupation du matin était de voir si j'arriverais à terminer le paquet de Chocapic pour ouvrir le nouveau et obtenir enfin Quasimodo ou Esmeralda au lieu de Frollo que nous avions déjà en double. Léo n'était encore qu'un bébé à la sortie du Bossu de Notre-Dame, maman l'avait gardé pendant que papa m'avait emmené au cinéma, mais le rituel s'était poursuivi jusqu'à ce qu'il soit en âge de comprendre tandis que je m'en désintéressais. Par contre, nous nous retrouvions devant les Minikeums, car Léo adorait le Ciné-Keum. Coco, Zaza ou Josy le faisait rire.

– Au fait, tu as bien dormi ?

– Oui. Mais tu sais, tu peux réaménager ma chambre, je m'en fiche si tu veux tout bazarder. J'ai même retrouvé un yo-yo lumineux dans le tiroir de mon bureau.

J'avais même essayé de refaire des figures telles que « l'ascenseur » mais j'avais perdu toute dextérité et le yo-yo avait cogné sur mon genou.

– Non, non, je ne veux pas toucher aux chambres, c'est pour quand on aura des petits-enfants.

Pas de pression...

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant