7. L'effet barbe-à-papa (2/4)

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C'était un mercredi après-midi, peu avant noël. Les cours de 4ème avaient donc commencé depuis plus de deux mois et Laura et moi commencions à nous voir en dehors des cours. Ma mère nous avait déposées au cinéma de Manèves, un petit complexe de deux salles où nous croisions principalement des habitants des villages alentour. La caissière mal aimable tordait toujours la goule quand elle donnait les places et son bonnet de noël ce jour-là accentuait le contraste. Avec Laura, nous avons gloussé pendant toute la file d'attente.

– La gueule de la mère Noël ! s'était moquée mon amie.

Pot de pop-corn en main, nous avions filé dans la salle, espérant que les meilleurs fauteuils étaient encore libres. C'était pour le deuxième volet du Seigneur des Anneaux. Laura qui ne jurait que par ça m'avait donné une leçon de rattrapage en me montrant la cassette vidéo de La Communauté de l'Anneau le week-end précédent.

La salle était déjà remplie de moitié, nous avions choisi de nous mettre en bout de rangée sur celle du milieu. Laura se fichait d'avoir de la place pour ses jambes, elle se posait en tailleur sur le siège après avoir retiré ses chaussures. Mais moi je voulais pouvoir étendre mes pattes. Les bandes annonces commencèrent et j'avais déjà boulotté la moitié de mon pop-corn. Ma meilleure amie pestait contre son appareil dentaire. Je parlais peu, écoutais mon amie me chuchoter des anecdotes sur le tournage des films tournés en Nouvelle-Zélande quand les derniers spectateurs vinrent s'asseoir juste derrière nous. Trois jeunes adolescents que je ne pouvais qu'entendre. Le film allait commencer dans moins d'une minute et ils se félicitaient d'être à l'heure même si l'un se plaignait de sa place.

Celui qui se trouvait derrière moi étira ses jambes dans l'allée et les lumières s'éteignirent au moment où je remarquai ses baskets : des Air Max rouges. Autant vous dire que lorsque le film commença, à la différence de Laura qui se perdit immédiatement dans l'écran, je gardai mes yeux sur la silhouette de ces pieds. Je savais que c'était Dimitri Grévois. Ce modèle venait juste de sortir et il avait fait des envieux en les montrant dans la cour. C'était la mode et plusieurs collégiens portaient des Air Max mais cette couleur-ci était plus rare et Dimitri était bien le seul à les porter. Et lorsqu'il demanda à son voisin de lui passer les bonbons, je reconnus même sa voix.

Ma respiration avait des loupés, je sentais même ma transpiration, en état de stress. Ma première réaction fut intense : je ne voulais surtout pas qu'il me voie. J'étais rassurée d'être plongée dans le noir et me renfonçai dans mon fauteuil de peur qu'il puisse me reconnaître à la simple vue de ma tête émergente (chose peu probable, mais bon...). J'appréciai lorsque la musique ou le son augmentaient, comme si cela rendait imperceptible ma respiration qu'il aurait pu reconnaître (oui, j'étais vraiment à ce point bizarre). Cette réaction de protection  ne me servit pas du tout, je me fichais royalement du film et réfléchissais à un moyen de l'éviter à la fin de la séance.

Le film durait longtemps et je parvins à me décrisper au fur et à mesure. Je savais que je pourrais partir avant que les lumières ne se rallument, Dimitri ne me verrait pas. Je ne me sentais pas la force de lui parler, nous aurions échangé des banalités ou aurions sciemment fait mine de nous ignorer, étant donné que nous ne nous étions jamais adressé la parole et ça c'était pire. En plus j'étais mal fagotée, cheveux non lavés... Je savais déjà que je voulais lui plaire et là psychologiquement je ne me sentais pas prête du tout pour une confrontation. Les garçons à cette époque étaient pour moi une espèce mystérieuse éloignée du monde des filles, je n'en comprenais pas les codes. Et surtout Dimitri m'impressionnait. S'il me parlait je savais que je me mettrais à balbutier comme une andouille.

– C'est trop bien, murmura Laura. Ça va ?

– Oui, t'inquiète, juste mal au ventre, chuchotai-je si bas qu'elle ne m'entendit pas.

Je lui montrai mon ventre devant son air perplexe et elle eut l'air désolé. Il devait rester encore une bonne demi-heure de film.

Dimitri bougea derrière moi et je revis ses pieds à quelques centimètres de moi sur les marches de l'allée. N'étant plus stressée après plus de deux heures à analyser mes sentiments et à planifier mon évasion discrète du cinéma, j'en vins à trouver ce moment érotique. L'homme caché, à un mètre de moi, me plaisait et ne pouvait savoir que devant lui se trouvait une adolescente déjà éprise. Je me disais que je pourrais tendre la main, toucher sa jambe, puis je l'imaginais lui, s'approcher et m'enlacer par derrière. Sans rien dire, dans le noir, il chuchoterait à mon oreille, je me retournerais, et enfin nous nous embrasserions, oubliant tout le reste.

Bien évidemment, rien de ceci n'arriva. J'attendais désespérément une scène du film plus lumineuse pour déchiffrer ma montre. La séance s'achevait dans moins de dix minutes. Mon estomac fit un triple salto avant. Qu'importe la quête de Frodon et tutti quanti, je me penchais pour dire à Laura qu'elle vienne me retrouver aux toilettes après le générique. Je saisis mon manteau suffisamment haut pour dissimuler mon visage et quittai la salle avec vivacité.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant