9. Coquin de Valentin (1/4)

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Dans un monde parfait, je jetterais Marion par-dessus la fenêtre (elle atterrirait sur un matelas miraculeusement posé en bas), je dévoilerais mon vrai visage et Dimitri se consumerait tant d'amour pour moi que les draps de satin de la suite nuptiale se rappelleraient de notre nuit passionnée.

Dans le monde réel, mon cœur frôlait la tachycardie, mon nez me donnait l'impression d'être une énorme patate qui me démangeait comme si mille moustiques l'avait piqué et Dimitri n'avait aucun désir dans son regard, juste de l'amusement.

C'était extrêmement risqué, tout ce temps passé dans la même pièce. Malgré tout le talent de Marion, il allait bien finir par remarquer que quelque chose n'était pas « naturel » sur mon visage. Et augmenter le temps de conversation risquait aussi de me mettre dans une situation difficile. Mon attitude, ma voix, n'étaient pas si différentes que lorsque j'étais adolescente.

Marion, apaisée par la musique, enleva un écouteur. Ce geste simple disait « je suis avec vous, je vous entends » et anéantissait toute impression d'intimité, un très bon point pour moi. J'avais bien compris que ça voulait dire « je ne te laisse pas tomber », clairement consciente de ma peur d'être isolée avec lui. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure, sans mauvais jeu de mots.

Enfin ma peur... A demi-vrai, bien sûr puisque c'était Chloé derrière la porte et moi qui me retrouvais avec lui pour un moment. Et le sms de Laura augmenta mon sentiment de supériorité sur ma cliente : « Quoi ? T'es enfermée avec Dimitri ! Bah alors, fonce ! Non, je rigole, enfin... ;) ».

– On ne vous la fait pas tous les jours, n'est-ce pas ?

Dimitri s'adressait à moi alors qu'il occupait la chaise d'en face.

– De ? demandai-je comme une greluche, n'ayant pas écoutée sa question trop absorbée par son allure de Dieu du Stade (en costard, mais que j'imaginais très bien en modèle du mois de Février).

– D'être prisonnière avec vos clients.

Oui, emmenez-moi en prison, je vous suis, pensais-je.

– Oh, non c'est original c'est clair ! Mais j'ai fermé la porte sans me rendre compte.

– C'est pas grave, ça nous fera une anecdote.

Sous le fond de teint, je rougissais comme ma grand-mère devant le cul nu de tonton Robert à la kermesse de Manèves. Simplement parce que Dimitri avait employé le « nous ».

« Nous », répétai-je mentalement.

Il nous prêtait un souvenir en commun. Le premier entre lui et cette Amanda grimée. Au moins le centième de mon point de vue.

Son téléphone sonna.

– Ah, Brice, merci de me rappeler.

Il se leva pour s'isoler dans la salle de bain, mais j'entendais des bribes alors qu'il haussait le ton :

– Débrouille-toi pour le faire revenir ! On ne peut pas se permettre de perdre un nouveau client !... Si... Si... Non... J'y ai passé tout mon temps cet aprem... Non ! Non...

Marion me regardait.

– Tu veux un écouteur ? me demanda-t-elle.

Je la rejoignais sur le lit et insérai l'objet auditif dans mon oreille. La musique que je ne connaissais pas absorba mon attention.

Dimitri revint dans la chambre un bon quart d'heure plus tard. Il avait l'air fatigué mais distribua quand même un sourire en passant. Assis sur la chaise, il frotta ses yeux et passa sa main dans les cheveux.

– Ça va là-dedans ? Vous tenez le coup ?

Chloé forçait la voix à travers la porte. Imaginer cette femme jalouse pensant à son mari enfermé avec deux femmes dans une chambre aurait pu provoquer mon hilarité si je ne m'étais pas contrôlée.

– Oui, oui, tu sais j'ai de quoi m'occuper, j'ai eu Brice au téléphone.

– Bien, vous voulez de la lecture ? Je peux passer un journal sous la porte.

– Ça va aller, madame Desneiges, brailla Marion.

Chloé redescendit, penaude. Dimitri regarda un instant dans le vide. L'espace d'une seconde, il eut l'air triste mais dès l'instant où il croisa mon regard, le masque de l'assurance recouvrit son visage. Son travail semblait le préoccuper. J'en profitai pour lui demander :

– J'espère que ça ne va pas vous mettre en mauvaise posture vis-à-vis de votre travail.

– Non, ça ira, je peux travailler sur ma tablette ce soir.

Le sujet n'était pas passionnant mais il était relativement neutre. D'ailleurs il en changea :

– Qu'est-ce que vous faites quand vous ne préparez pas de mariage ?

– Rien de bien précis... Je lis, je sors, je vais au cinéma...

Son téléphone l'obligea à retourner dans la salle de bain. La situation était tendue. Pendant de longues minutes, Marion et moi écoutâmes de la musique pendant que j'alignai les bonbons de Candy Crush sur mon écran. Puis, Marion me tendit l'appareil photo et j'en profitai pour supprimer les clichés qui ne me seraient pas utiles.

La cerise sur la pièce montée (édité)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora