16. L'art de l'amitié (1/3)

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Je venais d'avoir ma mère au téléphone. Mes parents revenaient de l'enterrement d'une cousine éloignée. J'avais dû la voir une ou deux fois dans ma vie, alors je n'étais pas particulièrement triste. Mais ma mère semblait affectée, bien qu'elles ne se côtoyaient presque plus. Enfin, c'était surtout les souvenirs de sa jeunesse et la vision des proches dévastés le plus dur à supporter.

Je me couchai préoccupée par notre conversation téléphonique et réalisai que je n'étais pas rentrée chez moi depuis trois mois, chose qui n'était jamais arrivée. Mes parents me manquaient. Je m'endormis avec la promesse de les retrouver pour un week-end en mai.

Mon inconscient, imprégné de la tristesse de ma mère, créa un cauchemar qui me sortit du sommeil. Je me redressai dans le lit et lus l'heure sur mon l'horloge : 3 heures 23. La peur et la tristesse irrationnelles qui restaient dans mon esprit accéléraient mes angoisses. D'aussi loin que je me souvienne, j'étais toujours dans un état à la limite de la déprime lorsque je me réveillais en pleine nuit, fatiguée et les sens encore endormis. Sensation qui disparaissait complètement dès que mon réveil était franc.

Dans ma chambre silencieuse, je n'arrivai pas à me rendormir. Alors mon cerveau ressassait encore et encore. Cette histoire d'enterrement m'avait fait poser cette question : depuis quand n'avais-je pas pleuré ? Je voulais dire par là, vraiment pleuré, d'une tristesse insupportable qu'il fallait l'évacuer ? Impossible de me rappeler.

Pourtant, j'avais été bien ennuyée dans ma jeunesse par mes émotions. Voir une personne chuter dans la rue pouvait me rendre triste pour deux jours entiers. La personne en question, je ne la connaissais pas et elle s'était relevée en bon état. Je vous laisse donc imaginer les vrais problèmes.

Pour moi chaque chose de la vie était intense. Tout était exacerbé. Dans mon souci d'éviter le moindre écueil, je décidais de tout bien faire. Sans être la meilleure de ma classe, mes résultats étaient corrects, je travaillais beaucoup pour cela.

Mes parents étaient plutôt stricts et je voulais tout faire pour leur plaire. J'acceptais donc les cours de danse, les cours de musique, mais ça n'avait duré que deux ans car ensuite le lycée me demandait beaucoup trop de travail et une fatigue nerveuse, physique, émotionnelle me rattrapa.

Ce n'était que bien plus tard que j'avais compris que ce dont je souffrais c'était de l'hypersensibilité. Pour m'adapter aux côtés négatifs de celle-ci (influencés principalement par la confrontation au monde extérieur), je tentais d'étouffer mes émotions lorsqu'elles se faisaient trop envahissantes : je n'en pouvais plus de ce stress au moindre conflit, de ces larmes à la simple vue d'une injustice, et ainsi de suite.

Bien entendu, ça n'arriva pas du jour au lendemain. Mais le problème aujourd'hui, c'était que plus rien ne semblait m'atteindre.

Enfin, si, je ressentais encore les choses, mais c'était bien plus superficiel et j'étais sûre que d'extérieur, les gens qui ne me connaissaient pas ne se seraient jamais doutés de celle que j'étais vraiment. La dernière année de fac, je me rappelais qu'une femme m'avait dit que rien ne m'atteignait, que j'avais un cœur de pierre. C'était dit sur un ton de plaisanterie mais une part de vérité sortait bien de cette remarque.

Sur ses pensées, je retrouvai le sommeil. Mais lorsque je me levai, la morosité n'avait pas disparu.

Il y avait toujours un moment de creux dans la préparation d'un mariage. Rien d'étonnant puisque cela se déroulait sur le long-terme, et que nous pauvres êtres humains sommes soumis à nos sentiments, à nos humeurs. Mais de ce que j'avais pu remarquer dans les mariages précédents, c'était souvent au même moment.

J'exclus les dernières semaines où les choses s'accélèrent, où les tensions peuvent aussi survenir plus facilement. Non, je parle plutôt de la fin de la première partie.

Comme pour les autres, voilà presque deux mois que nous travaillions ensemble avec Chloé et Dimitri. Les grandes lignes étaient dessinées, pour avancer plus loin il fallait patienter. En réalité, on avance toujours plus ou moins, c'était simplement que c'était moins visible. Des petits détails auprès des prestataires, le suivi des commandes, etc... Un travail plus concret pour moi, mais moins évident pour les mariés.

A cela s'ajoutait un début de printemps maussade, lui pourtant tant espéré après un hiver long, humide et sombre. Heureusement, je pouvais compter sur Laura et Anne pour égayer mes samedis soirs.

Nous dansions, verre à la main, dans leur salon. C'était loin d'être gracieux. Anne sautait sur le canapé.

– Plus fort ! cria Laura.

Je montai le volume.

– Attention aux voisins ! cria Anne.

– On s'en balance le clafoutis des voisins, piailla Laura avec un déhanché à faire pâlir Shakira.

Elle prit un foulard et le fit voler dans l'appart avant de m'attraper avec. Mes chaussettes glissèrent sur le sol et je basculai en avant.

– Ah, ah, ah !

Ma boisson s'était répandue sur mon pantalon, mais je m'en fichai et continuai de rire. Laura tira sur mes mains et Anne me lança une serviette. Je filai dans la cuisine pour nettoyer. En sortant mon téléphone de ma poche, je constatai à nouveau des appels en absence de Chloé, elle avait essayé de me joindre deux fois.

– Mais elle peut pas te laisser un peu tranquille celle-là, c'est samedi soir ! marmonna Laura en frottant mon pantalon.

– Je vais rappeler, c'était il y a un quart d'heure.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant