3. Les gens sont cons (2/2)

16.1K 1.7K 264
                                    




           

Je reconnus la tête blonde de Chloé et me dirigeai vers elle. Elle leva vers moi un regard circonspect alors que je la saluai.

– Oui ? demanda-t-elle, avec une chaleur toute relative.

Ça c'était tout moi. Dans les transports, j'avais imaginé plusieurs fois la scène où Chloé allait découvrir ma nouvelle apparence et maintenant que j'y étais j'avais oublié ce « détail ».

Alors je pris place devant elle comme si de rien n'était, prête à enchaîner, mais elle me coupa l'herbe sous le pied :

– Excusez-moi, mais j'attends du monde, a-t-elle répliqué d'un ton plus sec que les cheveux de tata Jacotte.

Là mon cerveau a compris qu'elle ne me reconnaissait pas. Miracle des neurones qui trouvent la connexion :

– Ah, mais c'est moi ! expliquai-je.

– Amanda ? C'est toi, oh là là, commença-t-elle en riant. C'est... c'est super réussi !

Finalement je la trouvais définitivement godiche maintenant. Ma cliente s'esclaffait de sa propre bêtise. Mais je ne comptais pas me laisser gagner par un sentiment d'humiliation. Elle n'aurait pas de pouvoir sur moi, ni elle, ni les cocos des transports, ni personne.

Et pourtant je ne savais pas encore ce qui s'apprêtait à me tomber sur le coin la tête. 

– Dimitri vient de terminer son rendez-vous à la banque, il nous rejoint dans une dizaine de minutes, il travaille juste à côté. Oh mon dieu, j'espère que je vais garder mon sérieux. Non pas que c'est ridicule, mais c'est de connaître la supercherie.

– Riez un bon coup maintenant, Chloé. Ça passera.

Et c'est ce qu'elle a fait cette pétasse ! Elle a pris une serviette pour cacher ses lèvres et je voyais ses épaules qui se soulevaient et s'abaissaient en rythme. En fait à cet instant, je pensais à Léo et aussi à mes amis. Quand je leur raconterai ça, ils n'en pourront plus. 

– Mon Dieu, on rigole ! dit-elle en épongeant le coin de ses yeux.

Je me suis mise à l'aise en enlevant ma doudoune, mon tartan puis j'ai commencé à étaler mes feuilles.

– C'est vraiment fou, on ne voit pas du tout que c'est un faux nez. Par contre en vous regardant mieux, je reconnais bien vos yeux caramel.

J'ai cru qu'elle allait bientôt me demander de porter des lentilles mais là ça aurait été hors de question. Je n'aimais pas du tout sa manière de me dévisager et elle sembla enfin le comprendre et passa à autre chose :

– Bien regardez j'ai aussi pris mes notes.

Elle avait classé ses listes par couleur, tout rangé par thème. Des Post-it dépassaient et elle avait usé du Stabilo jusqu'à lui sécher la truffe. Ce côté maniaque et scolaire rassurant, j'allais m'y adapter pour mes clients. En soi, c'était même judicieux. Tout beau mariage qui se prépare a besoin d'un vrai plan de bataille. Pour ma part, les étapes et éléments essentiels étaient classés chronologiquement et j'avais créé un agenda numérique qui précisait chaque « deadlines » (oui, j'en suis là aussi avec mes mots anglais, question d'adaptation au business parisien).

– Dimitri ne va vraiment plus tarder. J'aurais préféré commencer avec lui, mais bon, il ne m'en voudra pas d'avoir loupé quelques minutes.  Du coup vous avez pu voir pour annuler le Hameau Fleuri ?

– Oui, tout est arrangé et vous n'aurez rien à débourser.

De ce que j'ai pu constater au cours de mes cinq ans d'expérience, à raison de quatre ou cinq mariages par an, le lieu de réception est très souvent connu et choisi par les mariés. Compte-tenu des délais mais aussi de la symbolique que les futurs époux lui confèrent, c'est souvent réfléchi et réservé en priorité. Et ce même si les familles sont pleines aux as et peuvent trouver des perles dans des délais exceptionnellement courts contrairement au commun des mortels, il leur suffit d'une liasse de billets. Chloé et Dimitri avaient trouvé un coin de paradis dans un château de Normandie mais ils avaient changé d'avis pour « un truc énorme » d'après le mail de la jeune fiancée. Ils allaient m'en parler.

– Impeccable. Vous allez voir que notre nouvelle idée est encore plus merveilleuse et... Tiens, Dimitri est là ! Super, nous allons pouvoir commencer.

Même pour lever la main et lui montrer où nous étions elle était classe. Je me retournais pour enfin découvrir le fiancé. Celui pour lequel j'avais dû accepter cette mascarade. Mon impatience était à son comble : je voulais enfin voir à quoi ressemblait l'animal ! 

A l'autre bout de la pièce, c'est un bel homme qui s'avançait. Assorti à la fiancée, sans aucun doute. En costard-cravate, il tenait sa serviette en cuir d'une main et une écharpe dans l'autre. Plus il s'approchait, plus la tension montait.

Lorsqu'il fut plus près, il sourit à Chloé sans me regarder. Et là, déclic immédiat. J'ai senti un coup d'électricité soulever mon estomac. L'homme qui se pencha pour embrasser Chloé, je le connaissais. Malgré sa mâchoire carrée, sa barbe de trois jours et ses cheveux plus longs, je l'aurais reconnu entre mille.

Dimitri Grévois, mon premier amour (secret). J'étais tétanisée.





Notes à moi-même :

1. Appeler tata Jacotte pour la nouvelle année (Ce n'est pas si grave un mois après, si ?).

2. What The F*** !

3. All by myself anymooooore !

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant