14. Intraitable (1/3)

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Je me réveillai en sursaut. Miaou bondit sur le lit, implorant ses croquettes du matin. Mais mon attention se porta sur le responsable de mon réveil : mon téléphone.

Allô ?

Ma voix d'homme des cavernes me fit peur et intrigua Laura à l'autre bout du téléphone.

– Oulà, je te réveille...

– Ma tête est lourde, marmonnai-je en m'enfonçant de nouveau sur l'oreiller.

Miaou vint me lécher l'oreille, je le repoussai.

– Je voulais m'assurer que tu étais toujours en vie. Alors, raconte ! Comment était ta nuit ?

– Courte. Il ne s'est rien passé.

– Tu ne veux pas me dévoiler plus de détails ?

– Il était sympa, prévenant. On a bu un autre verre puis on a commencé à s'embrasser. Sauf que, rien. Je ne ressentais rien.

– Aïe.

– J'étais pas du tout dedans, il a senti que niveau alchimie c'était zéro. J'ai prétexté un truc du genre « Désolée, je ne suis pas prête bla bla » et je suis repartie.

Je savais que Laura se retenait de dire quelque chose, son silence était éloquent.

– A quoi tu penses ? demandai-je.

– Alors c'est vrai, tu es complètement mordue de Dimitri ?

En fait, si cette soirée semblait confirmer cette théorie, ce n'était pas le cas.

–Tu sais, Dimitri, c'est mon fantasme adolescent, peut-être qu'il ne partira jamais, il fait partie de moi. C'est aussi le fantasme de l'interdit, et l'objet particulier de ce jeu des apparences entre nous, tous les ingrédients sont là. Mais tout ceci n'est qu'une chimère. Il a un côté inaccessible, mais si j'essaie d'y voir plus clair, je me rends bien compte que tout se passe dans ma tête. En réalité, j'ai compris que je n'avais pas du tout envie d'être avec un mec en ce moment. Je n'ai jamais été aussi heureuse et épanouie que depuis mon célibat.

Laura ne pouvait que confirmer. Elle avait, bien entendu, connu mes deux ex. Je me rappelais très bien de la fois où nous avions parlé des mecs.
C'était à l'âge où nous n'y connaissions rien, nous avions treize ans et sortions de chez le libraire. La Potter Mania submergeait le monde depuis la sortie du premier film, alors des gosses sortaient de la boutique avec des cartes Panini à la main, vérifiant s'ils n'avaient pas trop de doublons, s'échangeant déjà dans la rue certaines de leurs nouvelles acquisitions. D'autres goûtaient les fameux dragées de Bertie Crochu, ces bonbons aux arômes surprenants. Pour ma part, Harry Potter et son monde m'a happée plus tard, à la fin de la troisième. On m'avait tapé sur les doigts pour ne pas avoir vu les films mais je m'étais vite rattrapée.

Laura et moi venions pour autre chose : les magazines pour adolescents : Séries Mag, One et Star Club. Il nous fallait les nouveaux numéros pour avoir les derniers scoops. Nous étions fans des acteurs de Charmed, Buffy ou Smallville. Les soirées trilogie du samedi sur M6 étaient un rendez-vous immanquable. Nos mères nous autorisaient parfois à regarder la télé ensemble, ou sinon je prenais le téléphone et nous parlions pendant la diffusion même des épisodes. Mon père rouspétait à cause du fil qui traversait le salon.

Nous nous extasions donc devant les posters, feuilletions les magazines sur le banc en face de la boulangerie de Manèves et lisions des extraits d'articles à voix haute. Il s'agissait des histoires de cœur de l'acteur de James Marsters. Nous avions l'âge de l'insouciance, et croyions détenir la verité. Alors, là, sur ce banc, nous convînmes d'un pacte. En résumé, aucun homme ne viendrait enlever notre caractère et notre identité, nous déciderions de tout, il devrait suivre un point c'est tout, notre amitié passera avant ...

Dans les faits, des années plus tard, je m'étais vite rendue compte que c'était beaucoup plus compliqué que cela. Déjà parce que nous n'avions pas inclu dans l'équation une chose primordiale : les sentiments. Puis entre les jeunes ados de treize ans  et les femmes que nous étions devenues quelques années plus tard, il y avait un pas énorme. Laura avait bien contourné le problème, elle s'était tout de suite mise en couple avec des femmes (pas en même temps, séparément).

Bref, pour revenir à mes deux ex, ils étaient très différents. Autant dans leur apparence que dans leur caractère. Leur seul point commun fut d'avoir été avec moi, et ce pendant presque deux ans. Et au fur et à mesure de ma relation avec chacun d'eux, je ne me rendais pas compte qu'ils me changeaient. Laura ne s'était pas gênée pour me le faire remarquer. Elle s'entendait très bien avec eux, nous avions partagé de bons moments ensemble, mais elle avait confié que je semblais moins épanouie.

Le premier voulait plutôt me façonner à sa manière, me lançait des piques insidieuses qui ne semblaient pas en être sur le moment et qui amenaient des remises en question. Le deuxième voyait en moi quelqu'un de différent, il s'était arrêté à la jeune modèle de chez Elite et se révéla inintéressant au possible.

Pourtant, je voulais toujours bien faire et je m'impliquais dans ces relations. Mais lorsque j'avais réalisé que je me comportais beaucoup plus en fonction de leurs attentes et m'effaçais, j'avais eu la force de mettre un terme à mes histoires.

Le célibat m'allait bien, je n'étais pas prête à me replonger dans une histoire sérieuse, et les coups sans lendemains ne m'intéressaient pas non plus (je pourrais à la limite faire une exception pour les beaux acteurs d'Hollywood).

– Bon, si ça t'a permis d'y voir plus clair avec Dimitri, c'est un bon point. En tout cas, la soirée d'hier était top. Anne a adoré.

– Oui, oh merde, je dois te laisser ! J'ai rendez-vous avec les traiteurs aujourd'hui et je passe chez Marion avant !

Je raccrochai et filai sous la douche avant de prendre une aspirine. La journée risquait d'être longue.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant