4. Dimitri Grévois, 4ème B (1/3)

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C'est étrange les souvenirs. Ils amènent avec eux quelque chose en plus, des émotions et des sensations profondément enracinées, qui font qu'une même personne apparaît différente selon les individus.

En moins d'une seconde, j'avais reconnu Dimitri et avec lui un flot d'images de l'enfance venait de me submerger. Et surtout, un pincement familier dans mes entrailles. L'espace d'un battement de cil, je n'étais plus l'Amanda adulte posée dans l'hôtel mais la jeune adolescente, amoureuse transie. Et tous les signes de masculinité virile de Dimitri n'y faisaient rien, il était redevenu Dimitri Grévois, 4ème B, deuxième bureau à droite, assis à côté de Tiphaine-la-vérole (Croyez-moi, elle méritait ce surnom).

J'étirai un sourire poli sur mes lèvres (un peu tremblotantes) au moment où il se tourna vers moi pour me tendre la main. Je serrai la sienne en exagérant ma prise, histoire de reprendre le dessus.

– Quelle poigne ! Enchanté, reprit-il en prenant place sur sa chaise.

A l'intérieur, mon cœur battait la chamade et une compression sur la cage thoracique me faisait manquer d'air. C'étaient les premiers mots qu'il m'adressait depuis quatorze ans. Les notes plus graves de sa voix reconnaissable déclenchèrent des frissons le long de mon échine. C'était lui, merde, c'était vraiment lui ! Je reportai mon regard sur Chloé pour éviter le regard azuré de son fiancé.

Heureusement il ne m'avait pas reconnue ! A cet instant précis, j'aurais vénéré Marion en dansant nue autour d'un arbre, si je n'avais pas été en face de mes clients, bien sûr.

Une mise au point s'imposa à mon cerveau : j'allais donc préparer le mariage d'un couple blindé aux as dont la fiancée m'avait demandé de m'enlaidir de peur que le promis ne soit attiré par moi et qui, soit dit en passant, n'était autre que mon big crush de jeunesse.

– Ça va Amanda ? demanda Chloé, l'œil insistant.

Mais qu'elle était conne. Je lui aurais bien piqué l'œil avec ma fourchette à dessert, mais la case prison n'était pas au programme des réjouissances. Ni une, ni deux, je devais utiliser mon avantage et une sorte de dissociation s'opéra en moi. Déjà initiée par le grimage, elle devint plus radicale. J'allais jouer un rôle, comme les plus grandes actrices, pendant que la vraie Amanda serait enfermée dans un coffre le temps des réunions hebdomadaires. Dès lors, je retrouvai ma voix et ma maîtrise de moi-même.

– Très bien, j'avais juste envie d'éternuer, dis-je en feignant l'arrivée d'un atchoum grossier.

J'espérais qu'elle me croirait et ne penserait pas avoir l'avantage sur moi. Voulait-elle m'humilier pour montrer que c'était la reine et qu'elle avait la mainmise sur son amant ? A croire qu'elle savait que j'en pinçais pour lui à quinze ans. Ridicule, je commençais à me faire des films improbables.

– Bien, reprit Chloé, nous pouvons enfin vous parler de notre projet.

– Oui, il me tarde de connaître votre nouvelle idée, repris-je, mielleuse.

Je pris ma tablette pour ouvrir un nouveau document, le temps de retrouver toute ma contenance.

– Dimitri va le faire, c'est son idée.

– Alors voilà, « Le Hameau fleuri » était vraiment parfait, mais nous voulions vraiment faire fort pour marquer nos invités. Il y a un magnifique domaine sur les hauteurs de Nice. Un manoir avec vue sur la mer, piscine à débordement mais aussi un lac artificiel dans le parc. Regardez !

Il me tendit son smartphone. L'objet paraissait réduit dans sa main immense. Dimitri avait les mensurations d'un basketteur. Je prenais soin de ne pas toucher sa peau.

– Je ramènerai des photos prises par nous-mêmes la semaine prochaine, précisa Chloé.

Même si les clichés étaient peu nombreux sur le site internet et l'écran relativement petit, nul ne pouvait douter que c'était grandiose.

– Magnifique, déclarai-je convaincue.

Dimitri adressa un sourire satisfait à Chloé auquel elle répondit. Il fallait que je relance la conversation pour ne pas avoir à écouter mes sentiments. L'Amanda adolescente, gauche et intimidée, menaçait de ressurgir !

– Avez-vous déjà réfléchi à une organisation ? Comment faire avec les cent trente-deux invités ?

Ce changement de plan avait un impact considérable. Du point de vue géographique, notamment.

– Par avion. Nous partirons tous de Paris le samedi matin.

– Cela demande à ce que les non parisiens descendent ou remontent le vendredi soir, l'hôtel sera à nos frais. Cinq personnes nous rejoindront directement sur place puisqu'elles habitent à Cannes.

J'avais noté ces éléments et demandai :

– Donc, si je vous suis, cent vingt-sept invités prendront l'avion. Vous aussi ?

– Non, nous serons déjà dans le sud.

– Très bien, donc je me charge de réserver auprès de la compagnie pour cent vingt-sept voyageurs. Une préférence ?

– Merci mais c'est arrangé. Nous affréterons un jet privé.

Mais ils étaient plus que millionnaires ! Je commençai à me dire que je n'aurai pas beaucoup de choses à gérer à ce train-là.

– D'accord.

– Ah oui, et nous n'avons pas précisé, mais c'est une surprise. Les invités ne sauront pas vers quelle destination ils s'envolent.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant