14. Intraitable (3/3)

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C'était sans hésiter la plus belle pâtisserie de mariage que j'avais jamais vue. Dans des tons blanc et argent, elle s'élevait sur trois étages aux rondeurs parfaites et reposait sur un présentoir d'argent élancé. Le glaçage faisait l'effet d'un drapé de tissu en satin blanc. Quelques perles s'entremêlaient avec des roses blanches en sucre. Un liseré de rosaces travaillées courait sur le dernier étage. Chloé avait les larmes aux yeux.

Pourtant la beauté de la pièce-montée ne suffit pas à me faire oublier mon estomac entortillé. Je ne pouvais plus faire semblant et m'excusai pour rejoindre les toilettes de service.

Je tirai la chasse et repris ma respiration avant de me rincer la bouche au lavabo. Quelques gouttes de sueur avaient collé mes cheveux sur mes tempes alors je m'essuyais. Mon estomac se portait mieux mais j'avais une tête à faire peur, on y voyait encore mon malaise. Je m'approchai plus près du miroir et constatai que mon nez s'était légèrement décollé.

Mon mal laissa place à la colère. Elle explosa dans mon cerveau dès lors que Chloé frappa à la porte.

– Amanda, je peux entrer ? Vous avez besoin de quelque chose ?

Je savais que je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même pour cette gueule de bois. Il n'était pas dans mes habitudes de faire la fête la veille de rendez-vous professionnels. De toute façon, tout partait en sucette depuis ce contrat avec eux. Je ne me reconnaissais plus, j'agissais bien plus légèrement qu'avec mes autres clients, bien trop impliquée émotionnellement.

Mais autre chose me sautait aux yeux : l'absurdité de la mascarade. Oui j'étais en colère de m'être rabaissée et laissée piéger. A cet instant je voulais vider mon sac. J'aurais aimé répondre :

– J'ai besoin que tu la fermes ! Espèce de folle écervelée ! Va t'étouffer avec tes ravioles !

Chloé s'inquiéta de mon silence :

– Amanda ? Mon Dieu, j'espère que vous allez bien !

Son ton franc me permit de redescendre un peu. Je clamai derrière la porte :

– Un coup de froid, ce n'est rien.

– Oh, vous m'avez fait peur. Laissez-moi entrer, je veux être certaine que ça va. Nous allons vous raccompagner.

Chloé m'étonnait. Elle aurait pu craindre une contagion, d'autant plus que la gastro-entérite frappait en force la population parisienne. Mais là elle s'en fichait, préférant prendre soin de moi.

Il y avait toujours cette ambivalence avec Chloé, ce souffle froid puis chaud la seconde d'après. Nous étions deux dans l'affaire. J'étais adulte, j'avais du caractère, ce contrat je n'avais qu'à pas le signer si je n'avais pas vraiment voulu.

Pourtant je ne voulais pas qu'elle me voie ainsi : faible, échevelée, le teint blafard. Non, je ne lui accorderai pas cette chance, elle resterait dehors. Et l'on ne m'y reprendrait plus. Finies les conneries et les faiblesses.

– C'est gentil, Chloé. Mais mon déguisement est parti.

– Ah.

Ainsi, impossible de me montrer devant Dimitri. Bien sûr, je voulais encore moins me montrer comme ça devant lui. D'ailleurs, l'intéressé venait de rejoindre sa fiancée. Une chance qu'il ne m'ait pas entendue.

– Elle est malade ? l'entendis-je demander à Chloé.

– Oui. Tu veux bien réserver un taxi ? Je te rejoins.

– D'accord. Reposez-vous bien, Amanda. A la semaine prochaine.

Sa voix était douce, pleine de sollicitude. Chloé attendit qu'il soit parti.

– Vous êtes sûre que ça va aller ?

– Oui, ça va déjà mieux.

–Nous allons saluer le chef, je peux lui dire que vous avez dû rentrer, vous...

– Non, promis, je vais sortir quand vous serez partis et clôturerai le rendez-vous, ajoutai-je.

– D'accord, comme vous voulez.

– Et excusez-moi pour aujourd'hui, ça n'arrivera plus.

– Mais, voyons, vous ne pouviez pas prévoir de tomber malade. Et en plus votre travail est parfait. Le menu que l'on a choisi, et cette pièce montée, c'est de la bombe !

Je ne pensais pas que Chloé Desneiges était du genre à avoir ce genre de vocabulaire. Elle réussit à me calmer. Peut-être lui avais-je collé une étiquette trop rapidement. Ça n'enlevait pas le problème de sa jalousie mais je devrais davantage me concentrer sur ses côtés positifs, d'autant plus qu'en dehors de sa demande farfelue, elle me traitait bien pour le reste, et semblait vouloir une relation amicale.

J'ouvris la porte. Elle eut la décence de ne pas me regarder de travers, ni de s'exclamer devant ma mine de zombie.

– Vraiment ? J'avais peur de ne pas être la hauteur.

– Vraiment, vous avez encore visé juste. Et je vous remercie encore de jouer le jeu avec Dimitri. Bon, rentrez chez vous immédiatement, je m'occupe du chef et de mon futur mari.

– Merci.

Elle s'en alla retrouver les deux hommes dans la cave. Toute enjouée dans le couloir, elle me lança :

– La semaine prochaine, je vous veux en forme. N'oubliez pas que nous allons choisir...

– La robe de mariée, murmurai-je par-dessus elle, dépitée.





Notes à moi-même :

1. Ne plus jamais faire de soirée la veille d'une réunion clients.

2. Relire mes Harry Potter. Cet été en vacances.

3. Embaucher le même chef pour mon mariage. Si je me marie, un jour...   

4. Répéter trois fois tous les matins : "Dimitri n'est pas à toi".

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant