Ch 19 : Comment se faire des amis (Partie I)

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« Le Registre Des Méfaits... répéta Yuan Sunjie. C'est ce gros livre exposé sur un présentoir à l'entrée du couloir des pavillons d'étude ? Je croyais que c'était encore un livre de protocoles... Je ne m'en suis jamais approché ! ajouta-t-il avec fierté. Pourquoi écrivent-ils nos méfaits dans un registre ?
— Pour l'inventaire, c'est évident, ah ! » Ying Luo se frotta le front pour le défroisser et prit une inspiration pour se préparer à illuminer la lanterne de son ami.

Colporter sur les autres, surtout en présence même de la personne en question, n'était pas quelque chose de bien vu au sein du Pavillon du Bambou. La secte éduquait ses apprentis et ses disciples à avoir une conduite de gentilhomme, juste et irréprochable pour faire d'eux des junzis. Toutefois, les méfaits de Wang Xiao étaient déjà rendus publiques dans un livre accessible à tous, car c'était de cette manière, en exposant la faute des dissidents sur la place publique pour qu'ils en ressentent la honte à tout instant, que la secte amenait leurs membres à se tenir droit comme des bambous. Parler de ce qui était déjà connu était peut-être désagréable, mais pas tabou. Le Registre Des Méfaits avait un autre sobriquet parmi les junzis - le 'Livre des Hontes'.

« Wang Xiao, que voici, est punit pour quatre saisons entières parce qu'il s'est aventuré dans les bains des dames pour épier Nushi* Meng alors qu'elle était...
— Non, non et non ! Ce n'est pas ce qui s'est passé ! » protesta brusquement Wang Xiao en tapant du poing sur la table.

Wang Xiao détourna son visage en se pinçant les lèvres. Surpris, ses voisins s'échangèrent un regard avant de le fixer à nouveau. Son visage était maintenant devenu si vermeil qu'il luisait.

« Hmm... Qu'a-t-il donc fait ? fit Yuan Sunjie dont la curiosité avait été piquée. Cela devait être vraiment... entonna-t-il en faisant exprès de laisser flotter un moment de silence plein de sous-entendu.
— Nushi Meng, ah ! reprit Ying Luo qui entra dans le jeu. Une aînée respectée, la première femme qui devient chef de la faction Purge, shifu bien-aimée des disciples de la Cour Extérieure et même par les apprentis de la Cour Intérieure. Elle est toujours douce et agréable avec les juniors. Tout le monde l'aime et l'admire. Comme toute femme qui aime entretenir leur beauté, Nushi Meng aime prendre ses bains tard quand il n'y a plus personne, après une rude journée sous le clair de lune dans le bassin glacé. On dit, qu'une nuit, alors qu'elle allait au bassin des dames près de la petite cascade...
— Arrêtez ! se lamenta Wang Xiao qui grimaçait en fermant les yeux et les poings.
— Je vois... une belle jeune femme aimée et admirée de tous. Et c'est écrit en détail dans ce registre ? Je comprends que l'affront soit immense... s'exprima Yuan Sunjie avec compassion.
— Arrêtez ! Toute cette histoire est montée de toutes pièces, mais je ne peux pas dire la vérité. Sinon ma punition serait... pire ! Ma seule issue serait une mort instantanée de Zhanglao Zhu Xueren ! Croyez-moi, s'il vous plaît ! Je ne suis pas un voyeur, j'ai beaucoup trop de respect envers les femmes !
— Évidemment... répondit Ying Luo sur un air faussement entendu et convaincu.
— Bien sûr, ajouta Yuan Sunjie sur le même ton, puis en se tournant de nouveau vers Ying Luo comme si de rien n'était, il récapitula. Donc... Une nuit, alors que Nushi Meng allait au bassin des dames près de la petite cascade... ?
— Une nuit de pleine lune alors que Nushi Meng allait au bassin des dames près de la petite cascade... reprit Ying Luo.
— Ce n'était pas une nuit de pleine lune, l'interrompit Wang Xiao dépité. Il n'y avait pas de lune cette nuit-là, mais j'ai vu une pleine lune... »

Des sourires en coin courbèrent les lèvres des deux autres.

« Oh ? dirent Yuan Sunjie et Ying Luo en même temps.
— Il a vu une pleine lune ? fit Ying Luo.
— Des fesses ? »

Au mot « fesses » ce fut comme si sa chaise avait brusquement fait jaillir des clous pointus sous les siennes. Wang Xiao se leva d'un bond comme une pique et courut hors de la salle commune en traversant les couloirs, à vive allure, sans s'arrêter jusqu'aux jardins. Derrière lui, il pouvait entendre les rires de Yuan Sunjie et de Ying Luo qui lui courraient après jusqu'à le rattraper près d'un arbre au tronc tordu.

L'Éternité d'Une SecondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant